Nantes – Théâtre Graslin jusqu’au 1er avril

PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy

A Nantes, Debussy et Maeterlinck rayonnent en huis clos familial.

PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy

Mélisande vient d’un monde dont elle garde le secret. De nulle part en quelque sorte. Golaud, jeune veuf, qui l’a découverte par hasard, vient du royaume d’Allemonde, sans géographie précise. Il fait de l’inconnue son épouse avant de revenir dans la demeure familiale. Son demi-frère Pelléas tombe sous le charme de l’étrange étrangère, celle-ci découvre l’amour avec lui. Passion interdite. Le thème des amours maudites de Tristan et Yseut irrigue la pièce du poète belge Maurice Maeterlinck que Debussy a métamorphosé en opéra. Son unique opéra. Pour lequel il composa une musique des âmes et des paysages où le chant et la parole se fondent dans des lumières évanescentes.

L’œuvre est de celles qui nourrissent les imaginaires. A chaque metteur en scène, sa glose, sa périphrase et sa projection intérieure. Le symbolisme et l’impressionnisme, reflets du temps de sa création en 1902, en sont généralement les sources d’inspiration. A Nantes, Emmanuelle Bastet donne au contraire chair vive et réalité aux personnages, les abstractions, les impossibles lieux – fontaine, grotte, forêt, océan omniprésent – deviennent de lointains horizons se profilant, invisibles, au-delà de l’immense baie vitrée du salon cossu d’une demeure aux chaudes boiseries Art Déco. Ce lieu à la fois unique et multiple par ses jeux de lumières et ses drapés de rideaux, devient le foyer d’un huis clos familial, où le doute et la jalousie exaspèrent les violences jusqu’à la mort.

Metteur en scène sensible, Emmanuelle Bastet a été à bonne école pour avoir travaillé en tant qu’assistante avec des piliers comme Robert Carsen ou Yannis Kokkos. Elle était même aux côtés de ce dernier quand celui-ci réalisa à Montpellier un Pelléas d’eau et de ciel qui restera de référence. Aujourd’hui Bastet propose quasiment l’inverse, mais avec le même sens de l’intensité dramatique.

Stéphanie d’Oustrac rare et inattendue

L’une des idées phare de sa conception a été de donner au gamin Yniold, le fils de Golaud issu de son premier mariage, un rôle de témoin que personne encore ne lui avait accordé. Il est présent partout, d’un bout à l’autre, il regarde, il observe, il absorbe le monde des adultes dont les enjeux lui échappent… Chloé Briot par sa taille menue, sa voix légère, son jeu attentif lui confère une présence rare.

Rare et inattendue est surtout la Mélisande de Stéphanie d’Oustrac, prise de rôle pour la belle brune loin de l’imagerie éthérée de l’héroïne aux longs cheveux. La mezzo au timbre si riche, si coloré, su chaud que l’on a connue en Salomé de volupté et en Carmen de caractère, apporte à Mélisande les attraits d’une femme bien vraie, charnelle, amoureuse, maternelle. Une femme d’aujourd’hui. Jean-François Lapointe qui interpréta tant de fois le rôle de Pelléas, passe pour la première fois à celui de Golaud, en frère ainé mûri, viril, d’abord aimant puis, aveuglé par ses soupçons, basculant dans la violence et la brutalité. Sa diction impeccable, son timbre de marbre noir en font un géant brisé, superbe. Face à lui, Armando Noguera incarne un Pelléas en figure d’ombre, si jeune, embarqué malgré lui dans la tourmente de désirs inconnus, domptant pour ainsi dire la puissance naturelle de sa voix, comme pour lui conférer une sorte d’innocence fervente. Cornelia Oncioiu, Geneviève bourgeoise discrète et Wolfgang Schöne, Arkel, patriarche bourru au vibrato parfois insidieux complètent un plateau d’une exceptionnelle homogénéité.

Franz Kawka dans la fosse, à la tête de l’Orchestre des Pays de la Loire, emboîte le pas au réalisme d’Emmanuelle Bastet. On peut ne pas aimer une certaine sécheresse dans sa direction, trouver qu’elle prive Debussy de son aura rêveuse, mais elle est en parfaite adéquation avec le parti pris de mise en scène, formant avec elle, et les interprètes, une fresque mobile de toute beauté.

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, livret de Maurice Maeterlinck. Orchestre National des Pays de la Loire, direction Daniel Kawka, chœurs d’Angers Nantes Opéra, direction Xavier Ribes, mise en scène Emmanuelle Bastet, scénographie et costumes Tim Northam, lumières François Thouret. Avec Stéphanie d’Oustrac, Armando Noguera, Jean-François Lapointe, Wolfgang Schöne, Cornelia Oncioiu, Fréderic Caton .

Nantes – Théâtre Graslin, les 25, 27 mars et 1er avril à 20h, les 23 et 30 mars à 14h30.

Angers- Le Quai le 11 avril à 20h, le 13 à 14h30

02 40 69 77 18 – www.angers-nantes-opera.com

Photos : Jef Rabillon

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy 28 mars 2014 21:24, par Lutavski

    Ayant vu " Pelleas" une bonne douzaine de fois, celui de Nantes est raté non à cause des chanteurs plutôt bons dans l’ensemble (Yniold, Melisande),
    mais à cause de l’orchestre, très mauvais sans homogénéité mal conduit par un chef qui n’a manifestement pas compris les intentions de Claude Debussy.
    Quant au décor - unique- surdimensionné- il est ridicule et sous-employé : la scène de la chevelure est loupée etc....

    Pour ceux qui voulaient voir ce qu’est un vrai "Pelleas" il fallait être à l’opéra comique il y a 2 mois : tout y était : un décor simple symboliste à souhait, un orchestre fin et un chef extraordinaire.

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