Festival Présences, Radio France, du 4 au 9 février

Olga Neuwirth, fragments d’un portrait

Après Steve Reich en 2024, et en attendant Georges Aperghis l’an prochain, le festival Présences a consacré dix concerts à la compositrice autrichienne.

Olga Neuwirth, fragments d'un portrait

OLGA NEUWIRTH FAIT PARTIE de ces compositrices qui ne se laissent pas aisément apprivoiser. Moins facile et joyeuse que celle de Steve Reich ou de Philip Glass, sa musique fait volontiers appel à ce qu’on appelle l’hybridation, ce qui ne la rend pas pour autant moins âpre ou plus flatteuse.

De cette figure exigeante (elle a écrit un mémoire sur Alain Resnais et la musique, mais n’a pas elle-même écrit de musique de film), nous avons pu entendre, lors du concert d’ouverture, Orlando’s World, page de concert extraite de l’opéra Orlando créé en 2019 au Staatsoper de Vienne. Une œuvre qui tient de la scène dramatique ou de la cantate, et met en scène le personnage d’Orlando qui traverse les siècles et, né homme, devient une femme. Des fanfares, des réminiscences, nous font passer d’une époque à l’autre. La mezzo-soprano Virpi Räisänen, qui avait créé l’œuvre à Tokyo en 2023, la reprend ici, sous la baguette de Pascal Rophé, toujours impeccable de précision et d’énergie à la tête de l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Dommage que l’orchestration touffue d’Olga Neuwirth ne mette pas davantage en valeur les instruments rares qu’elle convoque : saxophone alto, guitare électrique. Le clavecin surtout, qui remplace les synthétiseurs prévus dans la version originale de l’opéra, est perdu au milieu des instruments, et son accord un peu plus bas (à 425 hz) ne produit pas l’effet escompté. La soliste en revanche, donne le meilleur d’elle-même et nous fait parfois penser, dans ce saisissant passage du temps, aux Huit chants pour un roi fou de Peter Maxwell Davies (1969).

Du blues au labyrinthe

Le 6 février, Franck Ollu dirigeait Eleanor, pour un trio de jazz (voix de Della Miles amplifiée, batterie, guitare électrique) s’accordant plus ou moins avec l’Ensemble Modern, cependant qu’une bande diffuse des extraits de discours de Martin Luther King. De bons sentiments n’ont jamais fait une œuvre majeure, faut-il le rappeler ? C’est de juxtaposition, plus que d’hybridation, qu’il faudrait ici parler dans cet hommage à Billie Holiday écrit par une musicienne qui, autrefois, se rêvait en « Miles Davis au féminin ».

Plus convaincant est Locus… doublure… solus, vrai-faux concerto pour piano et orchestre interprété, le 7 février à la Philharmonie, par Tamara Stefanovitch, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par André de Ridder. Page violente, balisée par quelques souvenirs de Steve Reich (mais oui) et d’Olivier Messiaen, conçue en sept parties à la manière d’un labyrinthe dont les cinq volets centraux peuvent être joués dans un ordre variable. L’auditeur a toutefois l’impression d’une œuvre qui se déroule avec sa logique propre, sans élément extérieur (voix amplifiée ou instrument exotique peu audible) qui viendrait la distraire sans l’enrichir.

Mais aussi…

Le festival Présences est aussi l’occasion d’entendre des œuvres nouvelles et de faire connaissance avec de jeunes compositeurs en devenir. Le concert d’ouverture a permis d’entendre Mana, une page du regretté Christophe Bertrand (1981-2010), créée lors du Festival de Lucerne 2005 sous la direction de Pierre Boulez. Pièce abrupte, tellurique, dirigée avec une magistrale clarté par Pascal Rophé à la tête de l’Orchestre du Conservatoire de Paris. La concision en revanche, n’est pas la vertu principale de Fading de Menghao Xie, donné en création par les mêmes interprètes, avec la participation de la pianiste Ninon Hannecart-Ségal, qui par ailleurs a signé la cadence de ce faux concerto pour piano préparé et orchestre – une cadence consistant pour la pianiste à se pencher sur l’intérieur du piano, à faire sonner les cordes avec les doigts… ou avec une mailloche. On craint pour l’instrument, qui heureusement est solide, mais on se demande vraiment ce qu’apporte cette utilisation du piano systématisée en son temps par John Cage. Iiin d’Imsu Choi convoque a contrario un quintette instrumental (flûte, clarinette, violoncelle, accordéon, guitare électrique) qui s’exprime d’abord de manière délicate avant que la guitare, tout à coup saturée, apporte sa fureur.

Le 6 février, on s’ennuie avec Allmachtsfantasie de Margareta Ferek-Petrić, tutti furieux interprété par l’Ensemble Modern que dirige Franck Ollu, avec interventions nasales des instrumentistes et, à la fin, toujours de leur part, un éclat de rire. Ils sont bien les seuls à s’esclaffer, quand bien même la pièce serait, paraît-il, une charge de l’égocentrisme. Prosthesis de Sasha J. Blondeau apporte un peu d’oxygène, avant qu’Aquiles Lázaro nous offre, avec Brutal, son lot de stridences qui se résolvent dans une polyphonie savante pour triangles. Soit.

Cantique et restauration

Le surlendemain, à la Philharmonie, la création du Cantique des larmes de Michaël Levinas installe un climat méditatif au fil d’un lamento qui nous plonge, sans aucun artifice électronique ou informatique, dans la profondeur du chant de l’orchestre. Page à la fois douloureuse et sereine qui, écrit Hélène Cao dans le riche livre-programme du festival, « verse des larmes devant le monde d’aujourd’hui ».

Ce concert est aussi l’occasion d’entendre deux œuvres de Luciano Berio (1925-2003), dont on célèbre le centenaire : le très beau Magnificat pour deux sopranos (Manna Ito et Barbara Vignudelli), chœur mixte (celui de Radio France, préparé par Roland Hayrabedian), deux pianos (Tamara Stefanovich et Catherine Cournot) et ensemble. Une œuvre de relative jeunesse (elle date de 1949), hiératique, qui ne répugne pas à la consonance, et dont l’architecture apparaît avec clarté. Rendering en revanche, nous laisse plus perplexe. Il s’agit là en effet, en réponse à une commande du Concertgebouw d’Amsterdam, d’une tentative de reconstitution ou plutôt de restauration (Rendering signifiant « interprétation ») de la Dixième Symphonie de Schubert. « Je n’ai jamais été intéressé par ces opérations de bureaucratie philologique qui conduisent parfois un musicologue imprudent à se prendre pour Schubert », écrit celui qui a cependant écrit son propre finale de Turandot. Soit. Mais Rendering, qu’on le veuille ou non, sonne comme une symphonie de Schubert, à l’instar des tentatives de Brian Newbould (qu’ont enregistrées Pierre Bartholomé et Neville Marriner). La patte de Berio se fait discrète, et l’Orchestre philharmonique de Radio France, d’où se détache le toujours merveilleux hautbois d’Olivier Doise, peut se donner à cœur joie.

Illustration : Olga Neuwirth par Christophe Abramowitz (photo Radio France)

France Musique, qui a retransmis en direct les quatre premiers concerts du festival Présences 2025, diffusera les six suivants les mercredis 12, 19 et 26 février, 19 et 12 mars, et 23 avril, à 20h, avec une présentation d’Arnaud Merlin.

Festival Présences 2025. Œuvres de Christophe Bertrand, Menghao Xie, Imsu Choi, Olga Neuwirth ; Orchestre du CNSMD de Paris, dir. Pascal Rophé (Auditorium de Radio France, 4 février). Œuvres de Margareta Ferek-Petrić, Sasha J. Blondeau, Aquiles Lázaro, Olga Neuwirth ; Ensemble Modern, dir. Franck Ollu (Studio 104 de Radio France, 6 février). Œuvres de Luciano Berio, Olga Neuwirth, Michaël Levinas, Franz Schubert/Luciano Berio). Orchestre philharmonique de Radio France, dir. André de Ridder (Philharmonie de Paris, 7 février).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook