Critique – Opéra-Classique

OTELLO de Giuseppe Verdi

Une transposition risquée, plutôt réussie

OTELLO de Giuseppe Verdi

Otello, le chef militaire aux ordres de la République de Venise, rentre victorieux dans l’île de Chypre, son quartier général, après avoir livré bataille contre les Turcs. Cependant, le puissant ennemi n’est pas totalement anéanti pour autant et, compte tenu de la situation géographique de l’île –face à la Turquie-, il n’est pas difficile d’imaginer qu’il sera nécessaire de poursuivre le combat : l’ennemi, invisible certes, est en réalité très proche.

C’est cette présence ressentie qui explique sûrement la tension qui règne dans l’île, et certains comportements paranoïaques des principaux personnages du drame de William Shakespeare.

Andreas Kriegenburg, le metteur en scène, a retenu cette angoisse latente des militaires détachés sur l’île comme point focal de son travail ; il s’est inspiré de l’actualité récente pour ancrer l’histoire dans un contexte inquiétant de façon à ce que le public partage la tension que ressentent les personnages. Il a donc remplacé le danger ressenti, mais lointain, du Turc violent, par la présence en scène d’immigrants –syriens probablement-, pacifiques sans doute, mais dont le nombre important et la situation désespérée, créent un sentiment de danger.

Les militaires en poste dans l’île, sont perpétuellement sur le qui-vive : la rébellion couve et l’explosion est possible à tout moment. Ce faisant, le metteur en scène a confondu Chypre avec îles grecques du côté du Bosphore, où débarquent en nombre actuellement les immigrés syriens. Oublions l’inexactitude géographique : son effet est réussi et tout à fait conforme à l’œuvre originale pour la raison évoquée et très souvent ignorée : Même si Otello a gagné une bataille sur les Turcs, les populations chypriotes n’ont pas cessé d’être en danger depuis la fin du moyen âge.

Une mise en scène mal comprise.

Harald Thor, responsable du décor, a disposé un énorme mur de couchettes superposées où il a installé le chœur pratiquement du début à la fin de l’opéra. Il représente les familles d’immigrés –il y a des enfants qui jouent aussi des petits rôles de composition- dont la présence nombreuse et proche des chanteurs donne effectivement une sensation d’étroitesse, d’angoisse. Les militaires, sobrement habillés, ont leurs bureaux dans le même bâtiment sans qu’il y ait une séparation bien solide entre eux-mêmes et les immigrants. Par exemple, la mission qui arrive de Venise porteuse de nouvelles, représentée souvent de façon somptueuse avec déploiement de drapeaux et autres enseignes, se limite ici à la présence d’un commissaire qui vient inspecter les installations. Seule la chambre à coucher du couple protagoniste se trouve isolée du reste des occupants de la caserne. Le public et une bonne partie de la critique ont eu du mal à accepter cette vision du décor.

L’orchestre, l’élément fédérateur de la soirée

L’orchestre du Liceu connaît bien la partition et a rencontré un chef –Philippe Auguin- qui la connaît bien aussi. Le résultat a été surprenant de cohésion de force et de lyrisme. Chaque pupitre a travaillé avec sérieux sa partie ainsi que les liens avec les autres, et avec les artistes sur scène,. Les relations avec le chœur ont été sans défaut tout au long de la soirée malgré les difficultés posées par le décor. La solidité de l’orchestre, l’attention de chaque moment portée par son directeur à tous les détails aura donc été l’élément qui, fédérant la fosse et la scène, aura créé l’atmosphère musicale idéale sur laquelle est venue s’appuyer l’histoire d’Otello le maure (pas trop basané dans ce cas) et de la belle Desdemona (brune pour l’occasion).

Une distribution cohérente de bonne qualité

A défaut d’être d’excellente qualité, la deuxième distribution de la production a été plus que correcte et, ce qui est plus difficile, très équilibrée. Cela a rendu crédible l’histoire du couple protagoniste. Carl Tanner a été un Otello violent et très agressif dès le début de l’histoire. On aurait dit qu’il avait gardé en son fur intérieur l’excitation de la victoire contre le Turc et qu’il avait du mal à canaliser la tension accumulée pendant la bataille. L’émission du ténor, toujours juste, très pure sans métal ni vibrato, a peut-être péché par un excès de volume par moments, exception faite lors des passages lyriques en présence de Desdemona. Ce rôle a été joué par Maria Katzarava.

La présence d’enfants en permanence sur la scène a permis de montrer –une rareté bienvenue- le côté maternel –sans doute frustré- de Desdemona, que la soprano a joué avec aisance et conviction ; cela a donné une vision du personnage plus complète que celle que l’on a d’habitude. Par ailleurs son travail vocal a été sans défaut, en particulier la chanson du « salice » et l’ « Ave Maria » qui a suivi, chantées à la limite de la rupture vocale, ont marqué un moment de grande émotion. C’est le baryton Marco Vratogna qui a interprété Jago se limitant à émettre les notes de la partition sans une grande projection ni dramatique -il ne semblait pas trop croire à son rôle-, ni vocale. S’il a été puissant, sans perte de timbre, il a manqué de nuance dans les passages piano lors de ses insidieuses interventions auprès du maure en particulier. Alexey Dolgov –Cassio-, Viçens Esteve Madrid –Roderigo-, Roman Lalcic -Lodovico- et Damiàn del Castillo –Montano-, un peu écrasés par la grisaille de la mise en scène n’ont pas pu briller comme ils l’auraient sans doute fait si le metteur en scène avait adopté des options plus classiques.

Le chœur, omniprésent et à la hauteur.

On aura compris que la présence constante du chœur, clé de la mise en scène, a été une contrainte supplémentaire pour Andreas Kriegenburg, mais aussi, et peut être « surtout », pour le chef Philippe Auguin et pour les membres du chœur qui ont dû se chercher constamment dans les coins et les recoins de la scène afin de trouver les fantastiques unissons de l’opéra. Le chœur du Liceu, renforcé par de nombreux éléments venus de l’agence Intermezzo –mais absents de la distribution officielle figurant au programme- a représenté la masse critique nécessaire pour rendre l’effet dramatique voulu par le metteur en scène et, ses membres auront donc été vocalement parlant les protagonistes de la soirée.

Otello, opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, livret d’Arrigo Boito sur le drame homonyme de William Shakespeare. Direction musicale Philippe Auguin. Mise en scène Andreas Kriegenburg, décors Harald Thor, costumes Andrea Schraad, lumières Stefan Bolliger. Avec (le 4 février) Carl Tanner, Mar.co Vratogna, Alexey Dolgov, Viçens Esteve Madrid, Roman Ialcic, Damián del Castillo, Maria Katzavara, Olesya Petrova et autres. Production Deutsche Oper Berlin

Gran Teatre del Liceu les 21, 26, 27, 29, et 31 janvier, 1, 4, 5 et 7 février

Tél. +34 93 485 99 29 Fax +34 93 485 99 18
http://www.liceubarcelona.com exploitation@liceubarcelona.cat

Photos : A. Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook