Paris, Le Grand Parquet

Ménélas rebétiko rapsodie de Simon Abkarian

Le plain chant du roi abandonné

Ménélas rebétiko rapsodie de Simon Abkarian

Quel écrivain aurait l’étrange idée de se pencher sur Ménélas, le cocu de l’Histoire, le mari d’Hélène de Troie ravie par les Grecs, le roi bafoué auquel on a rendu son épouse infidèle une fois la guerre terminée ? Pourtant, il y a bel et bien un écrivain qui s’est intéressé au pauvre roi. C’est l’acteur Simon Abkarian, qui est aussi un auteur de grand talent. Il a écrit un texte où il intériorise et extériorise à la fois le destin de Ménélas : le récitant (c’est-à-dire Abkarian lui-même est Ménélas) parle à la première personne, mais d’autres voix lui répondent, le contredisent, entrechoquent le monologue de points de vue opposés. Tel qu’il revit sous la plume d’Abkarian, le roi souffre, subit comme des visions blessantes ce qu’il imagine de la vie d’Hélène à Troie, mais il ne cesse d’aimer celle à laquelle il ne veut pas renoncer. Il parle pour la célébrer, et pour corriger l’Histoire qui a été injuste avec lui.

Une table, trois chaises. C’est à peu près tous les accessoires de cette pièce fondée sur l’extrême simplicité. Simon Abkarian, les cheveux lustrés, la moustache cirée, joue au doux potentat d’un royaume gréco-oriental. Il a le costume noir trop parfait des hauts notables qui ont adopté les manières occidentales. Mais tout dans ce personnage est Orient : les mots, le récit avec ses accélérations passionnées, les gestes, les symboles et les danses. Car il danse, le roi Ménélas, comme les hommes le font partout dans la Méditerranée – comme s’ils voulaient voler ou partager la féminité. Abkarian interprète son très beau texte avec la royauté qu’ont certains messagers inconnus arrivant sur une place de village. Il s’est entouré de deux musiciens grecs – et c’est là qu’intervient le « rebétiko », vocable qui n’est pas très clair à l’intérieur du titre et qui est, pour l’auteur, « le blues de la Grèce », un chant majeur de l’Asie mineure - et rarement le courant n’est aussi bien passé entre un texte littéraire et des chants et des notes qui semblent lui répondre. Ces deux musiciens, Grigoris Vassila et Kostas Tsekouras – tissent avec l’acteur-auteur une harmonie qui va bien au-delà des accords de la musique. On ne sait plus à quelle époque l’on vit : dans l’Antiquité ? Dans les fureurs guerrières du monde d’aujourd’hui ? Dans une intemporalité, une parenthèse dans le temps et dans l’espace ? Abkarian brise la légende méprisante du conte mythologique en trouvant le plain chant du roi abandonné.

« Ménélas rebétiko rapsodie » écrit, mis en scène et joué par Simon Abkarian, collaboration artistique de Catherine Schaub Abkarian et Natasha Koutroumpa, lumière de Jean-Michel Bauer, avec Simon Abkarian, Grigoris Vassila (chant et bouzouki), Kostas Tsekouras (guitare et chant). Théâtre du Grand Parquet, tél. : 01 40 05 01 50, jusqu’au 3 février. (Durée : 1 h 10).

Photo Natasha Koutroumpa,

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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