Critique – Opéra & Classique

Mahler : troisième symphonie

La victoire de la nature

Mahler : troisième symphonie

Gustav Mahler, qui dit de cette Troisième Symphonie qu’elle fut “la plus accomplie” de ses oeuvres, est une magnifique fresque de la Nature, une ardente évolution d’une heure et demie, depuis la fraîcheur des fleurs jusqu’aux forces de l’esprit. Philippe Jordan propose une direction pleine d’enthousiasme, que nous partageons à l’écoute.

La Troisième de Mahler est un gros morceau de la musique symphonique : près de cent minutes, deux choeurs, un premier mouvement d’une demi-heure, six mouvements, une centaine de musiciens… C’est surtout une autre pièce de génie du répertoire mahlérien qui était donnée par l’Orchestre de l’Opéra national de Paris confié à Philippe Jordan, libre le temps d’une soirée entre deux représentations du non moins colossal Les Troyens de Berlioz (voir WT - https://webtheatre.fr/Les-Troyens-d-Hector-Berlioz).

Composée en 1895 et 1896 au bord du lac, dans la maison de vacances de Steinbach-am-Attrersee, la Troisième symphonie de Gustav Mahler est le point d’orgue du premier cycle, la dernière des “Symphonies de la passion”. Cette “Troisième”, à la différence des autres, élude la question de la mort, pour recentrer l’oeuvre sur la Nature. Les six mouvements -dont Mahler a finalement supprimé les titres- sont successivement consacrés à la Terre, au monde végétal, puis animal, à l’Homme, au domaine des anges et à l’amour, manifestation suprême de l’esprit. Une symphonie en forme de synthèse de la vie sur Terre, de portrait musical des forces de la Nature.

Le ton est donné dès le premier mouvement, où Jordan respecte l’invitation à la “vigueur” de Mahler. Les influences nombreuses transparaissent : l’humour revendiqué par le compositeur, les thèmes de Bohême, les marches et les chansons. On apprécie tout particulièrement dans ce “pilier de la pyramide” le beau caractère des cuivres, la clarté des cors (Misha Cliquennois), la dignité du trombone solo (Jean Raffard), la force étincelante des trompettes (Nicolas Chatenet). Les bois, acclamés à juste titre par la salle, déclament délicatement les mélodies mahleriennes, avec des teintes de velour.

Jordan sait où il va, mais laisse la latitude nécessaire pour que l’orchestre s’exprime. On sent parfois quelques relâchements de la part du chef suisse, comme pour desserrer la tension et laisser parler la musique comme dans le Blumenstück, le deuxième mouvement qui traduit “l’insouciance des fleurs” comme l’écrivait Mahler.

L’intensité est grande lors du mouvement choral, où le choeur de femmes de l’Opéra national de Paris partage le haut de la scène avec le Choeur d’enfants de l’Opéra de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine, qui reprend un chapitre du Des Knaben Wunderhorn. La mezzo allemande Michaela Schuster livre une prestation satisfaisante sans vague mais n’exprime toutefois pas toute la force de l’extrait d’Ainsi parlait Zarathoustra malgré une concentration manifeste.

L’Adagio clôt une symphonie menée avec passion en préfigurant, sous certains aspects, l’adagietto de la Cinquième. Les cordes s’expriment à plein, dans une force délicate.

Philippe Jordan, sans rigueur excessive, prend manifestement en considération les indications qui émaillent la partition, ici pour le tempo, là pour la couleur ou la texture, là encore sur la manière.

Mahler se demandait à propos de cette symphonie si “cela devrait réellement être écrit”. Ce soir à Bastille, en écoutant la Troisième, aucun doute n’est permis, on s’est senti vivre.

Gustav Mahler, Symphonie n°3 en ré mineur
Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction Philippe Jordan ; Mezzo-soprano, Michaela Schuster ; Choeurs de l’Opéra national de Paris ; Chef des choeurs, José Luis Basso ; Maîtrise des Hauts-de-Seine/choeur d’enfants de l’Opéra national de Paris - direction, Gaël Darchen.

Concert donné le 30 janvier 2019 à l’Opéra Bastille

Enregistrement en direct pour une diffusion ultérieure sur France Musique.

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Quentin Laurens

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