Paris, Odéon-Ateliers Berthier jusqu’au 27 mars 2011

Ma Chambre froide de Joël Pommerat

Captivant feuilleton théâtral

 Ma Chambre froide de Joël Pommerat

Avec sa nouvelle pièce, Joël Pommerat a choisi de poursuivre son exploitation de l’espace théâtral circulaire amorcée lors de Cercles/Fictions la saison dernière. Si, cette première tentative s’inscrivait dans l’architecture du Théâtre des Bouffes du Nord en intégrant les structures qui la compose, celle-ci devient plus radicale avec l’instauration d’un ensemble scène/salle indépendant du lieu de représentation. Avec la complicité de son scénographe, Eric Soyer, une arène composée de gradins pentus et d’un plateau circulaire légèrement tournant bordé de balustrades, accueille la représentation. D’une certaine manière, ce dispositif répond aux vœux d’Artaud - et de quelques autres -, qui souhaitait voir un espace scénique global créé en fonction des caractéristiques de chaque création théâtrale. Mais il se situe surtout ici dans le désir de l’auteur-metteur en scène de “donner à voir”. Et cette configuration lui offre des conditions adéquates à travers la relation établie entre acteurs et spectateurs.

Sainte Estelle des abattoirs, ange ou démon

L’histoire qui nous est racontée tourne autour d’une femme, Estelle, disparue depuis dix ans en ayant laissé un journal dans lequel elle a consigné des épisodes de vie. Tentée par Dieu, aimant
la nature, les animaux et le théâtre, elle a surtout vocation d’aider ses semblables. Dans son travail polyvalent dans un magasin, sa générosité est mise à dure épreuve et souvent abusée par ses collègues dont elle devient le souffre-douleur. Pas de consolation côté conjugal où la violence est de mise. Une traversée de la misère sociale ponctuée de harcèlements et d’humiliations. Pourtant, Estelle veut croire que rien n’est irrémédiable dans la vie et sans manichéisme cultive sa “ manie de vouloir faire changer les autres ”. Elle s’y emploie avec plus ou moins de réussite. Lorsque son patron, qui se sait condamné par une tumeur au cerveau, lègue à ses employés – plutôt qu’à sa famille qu’il déteste – son patrimoine composé du magasin, d’une cimenterie, d’un abattoir et d’un bar louche, à la condition expresse de lui rendre chaque année un hommage, Estelle propose que ce soit sous la forme d’une représentation théâtrale, dont elle assurerait la mise en œuvre avec la participation de l’ensemble du personnel. Celui-ci confronté dans l’exercice de l’autogestion aux lois du marché et du capitalisme, dans un cauchemar éloigné du politiquement correct, a d’autres soucis et n’acceptera que sous la contrainte. Cela donne des scènes de répétitions hilarantes et des images fantasmagoriques, mais suscite aussi au fil de l’histoire des interrogations sur la personnalité d’Estelle et la nature réelle de ses motivations. L’association de ces histoires parallèles permettent à Pommerat de se situer aux lisières du réel et de la fiction, en sondant les ambigüités et les zones d’ombre de l’humain sur fond de réalité économique et sociale, sans optimisme ni didactisme, mais avec un humour souvent jubilatoire. Sous la forme d’un feuilleton découpé en séquences claires, ponctuées de noirs absolus et enchaînées de manière cinématographique, la mise en œuvre et le rythme de la représentation fascinent. Elle fait preuve une nouvelle fois de la maîtrise scénique de Joël Pommerat et de ses complices de la Compagnie Louis Brouillard. Les neufs comédiens sont confondant de justesse dans leur investissement individuel et collectif de chacun des personnages, en bénéficiant des apports d’une équipe fidèle qui contribue à l’aboutissement du spectacle et à la production d’images prégnantes (Eric Soyer, scénographie et lumière, Isabelle Deffin, costumes et François et Grégoire Leymarie, son). Et lorsque vers la fin, sous la menace, Estelle fait scander par ses condisciples “ J ‘aime le théâtre ” on a naturellement envie de leur faire écho.


Ma Chambre froide, texte et mise en scène Joël Pommerat, avec Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Ruthe Olaizola, Frédéric Laurent, Serge Larivière, Marie Piemontese, Nathalie Rjewsky, Dominique Tack. Scénographie et lumière Eric Soyer, costumes Isabelle Deffin, son François et Grégoire Leymarie. Durée 2 h 15.

Odéon – Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier jusqu’au 27 mars 2011.
Théâtre d’Arras les 12 et 13 mai et tournée 2011-2012.

Texte publié par Actes Sud–Papiers.
© Alain Fonteray

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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1 Message

  • Ma Chambre froide de Joël Pommerat 23 février 2015 15:09, par Valérie

    Je l’ai vu, c’est une pièce excellente, pleine d’humour, j’ai ri tout le long :)

    Valérie chambre froide

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