Les tourments des rêves de la nuit

À l’initiative d’Angers Nantes Opéra, La Vieille Maison sort de son sommeil après trente-cinq ans.

Les tourments des rêves de la nuit

Pour ce court opéra méconnu de Marcel Landowski (1915-1999), Éric Chevalier plante l’action dans la chambre de Marc, qui, enfermé dans son cauchemar, vit des épreuves et multiplie les rencontres douteuses. Une pièce étonnante, entre conte initiatique et plongée imaginaire, servie par une musique chargée d’images.

Le rideau se lève sur une chambre d’enfant, décor unique de ce court opéra, où l’on rencontre Marc, pyjama de satin gris, dans un sommeil paisible qui précède les aventures d’une nuit torturée. Monsieur Chapelaine, pelage de loup sur le dos, et Le Chapeau, maître de cérémonie ganté de rouge, l’enlèvent à la nuit pour lui faire traverser des épreuves douloureuses, qui le baignent dans la culpabilité du mensonge, du crime et de l’argent.

Rares aujourd’hui sont les productions sans projection d’images en fond de scène. Ici, elles se succèdent pour appuyer la rêverie, servir le sens, dramatiser l’instant. Entre réalisme et équivoque, Éric Chevalier joue habilement avec de gros cubes mobiles, dont la manipulation sur scène par les chanteurs, révèle au fil de l’histoire des mots diffamateurs, qui sanctionnent les errances du jeune Marc : menteur, voleur, truand, bandit, assassin…

Voie sans issue

Le public (dont la moyenne d’âge, pour cet opéra « ouvert aux enfants », à l’horaire et la durée adaptés) suit les méandres du rêve de Marc. L’une des réussites de cette Vieille Maison est sans doute de retranscrire dans la musique et sur la scène, ce que tout un chacun a déjà vécu en dormant : l’impasse d’un rêve abscons et inconfortable. La perversion, l’argent et la mort ne sont pas simplement suggérés : alors quelques enfants se tortillent sur leur siège, ou se voilent les yeux.

Dans la fosse, Rémi Durupt donne vie à un arrangement pour onze musiciens qui remplit la fosse et la salle. Sa direction entière et expressive offre un travail sonore très convaincant, la partition de Landowski s’appuyant sur des couleurs féeriques et imagées.

Loufoquerie et tendresse

Le choix d’un contre-ténor pour incarner Marc (il s’agissait d’un enfant lors de la création de l’ouvrage) est judicieux : Théo Imart navigue habilement entre la candeur de l’enfant et la stature du chanteur. Voix bien timbrée, affirmée et délicate, sens de la mélodie et du jeu de scène, ce Marc est un un enfant qui vit tout autant qu’il subit ce qui lui arrive.

Dans cet opéra, peu de place est donnée aux arias et aux longues tirades ; on jongle plutôt entre des personnages loufoques, dans un dialogue continu. Philippe Ermelier joue juste le rôle du méchant espiègle au cœur tendre, avec une voix profonde et franche. Éric Vignau fait un Chapeau énergique, dont on apprécie l’interprétation claire et sonore. Vive vocalement et alerte scéniquement, Dima Bawab est une Mélusine attachante, dont on goûte la précision des vocalises et le jeu malicieux. La voix d’Evelyn Vergara se détache délicatement du chœur d’enfants dans un « Sous le soleil et sous la lune » scandé. Saluons la prestation de la Maîtrise de la Perverie, dont les jeunes chanteurs livrent des airs parlés et fredonnés, planants.

Comme une allégorie de l’avancée depuis l’enfance jusqu’à la vie adulte, Éric Chevalier et Rémi Durupt choisissent un passage de flambeau du chœur d’enfants au chœur d’Angers Nantes Opéra, qui prend la relève pour soutenir une musique proche parfois du mystique. Quatre chanteurs en sont détachés pour de petits rôles, bien réalisés.

Crédits photo : Delphine Perrin

Marcel Landowski : La Vieille Maison. Avec : Théo Imart (Marc), Dima Bawab (Mélusine), Philippe Ermelier (Chantelaine), Éric Vignau (le Chapeau), Antonine Estrade (Madame Chic), Evelyn Vergara (soprano solo), Agustin Perez Escalante* (Deuxième Brigand et Deuxième Mendiant), Albin Menant* (Monsieur Chic et Premier Brigand), Nikolaj Bukavec* (Troisième Brigand), Pablo Castillo Carrasco* (Troisième Mendiant). Maîtrise des Pays de la Loire (à Angers), dir. Pierre-Louis Bonamy ; Maîtrise de la Perverie (à Nantes), dir. Charlotte Badiou ; Chœur d’Angers Nantes Opér, dir. Xavier Ribes. Mise en scène, scénographie, costumes et lumières : Éric Chevalier. Ensemble instrumental, dir. Rémi Durupt. Nantes, Théâtre Graslin, 13 mai 2023.

* Membres du Chœur d’Angers Nantes Opéra

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Quentin Laurens

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