Les Plateaux sauvages

Tout à la fois fabrique artistique et place de village

Les Plateaux sauvages

Le 15 septembre dernier, Les Plateaux sauvages pendaient la crémaillère après deux ans de travaux et inauguraient leur première saison intra-muros en nous interpellant avec vigueur, sur l’identité, la différence, nos capacités à résister aux adversités, à travers Max Gericke, pareille au même. Ce spectacle puissant, conçu entre conte et cauchemar par Lou Wenzel pour le jeu et Olivier Balazuc pour la conception scénique passait magistralement l’épreuve du plateau après le travail en résidence de l’équipe.
C’est aujourd’hui une singulière enquête sur les traces des mystiques, d’un ordinateur égaré et d’une sœur perdue de vue que nous proposent le Théâtre Irruptionnel de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre et Lisa Pajon avec Les Mystiques ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers . A l’affiche du 19 au 30 novembre, après une résidence en création, il s’inscrit dans le droit fil des objectifs qui fondent Les Plateaux sauvages.

Avatar tout à la fois du Vingtième Théâtre et du Centre culturel des Amandiers, manière d’OVNI dans le paysage théâtral et culturel, ce nouvel établissement de la Ville de Paris se déploie sur trois mille mètres carrés et plusieurs niveaux autour d’un vaste et lumineux hall d’accueil. Doté de deux salles de spectacles, de studios de répétition, de nombreuses salles de réunion, pourvu d’une bibliothèque, d’un bar ouvert sur un patio, il est piloté avec un allègre dynamisme par Laetitia Guedon, nommée sur projet en 2016. La jeune femme metteure en scène entend poursuivre ses activités créatrices mais a tenu à désolidariser sa compagnie de la structure qu’elle dirige et c’est au Théâtre de la Tempête qu’elle présentera, au mois de janvier prochain, son spectacle SAMO, a tribute to Basquiat .

Un outil à la main des jeunes troupes

Formée à l’école du Studio d’Asnières, puis au Conservatoire National d’Art Dramatique, la comédienne, après avoir été l’assistante d’Antoine Bourseiller, passe à la mise en scène et fonde sa propre compagnie , crée ses spectacles au TGP de Saint- Denis, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers avant de rejoindre le collectif des artistes associés à la Comédie de Caen que dirige Martial Di Fonzo Bo. C’est à la lumière de son expérience de compagnie émergente confrontée aux difficultés rencontrées dans la réalisation et le développement de son travail, qu’elle a bâti son projet. « S’il y a, à Paris, de nombreux lieux où l’on peut montrer ses spectacles, il y en a très peu où l’on peut prendre le temps de créer, c’est-à-dire réfléchir, chercher, se tromper, voire ne rien faire….c’est la raison pour laquelle j’ai voulu que Les Plateaux sauvages soient un outil à la main des compagnies émergentes, qu’elles puissent créer dans de bonnes conditions non seulement techniques mais administratives, de les accompagner de manière à ce qu’elle soient en mesure de répondre « à l’injonction faite aujourd’hui aux artistes à qui on demande d’être tout à la fois créateurs de formes nouvelles, chargés de production, de diffusion, administrateurs et attachés de presse ! »

Fabriquer et partager

Ce ne sont pas moins de quatorze compagnies émergentes ou plus confirmées qui sont ainsi à l’affiche de cette saison et constituent une programmation où « bien sûr affleurent les questions qui traversent le monde d’aujourd’hui », mais qui se veut délibérément métissée. « Je revendique la créolité de la programmation » affirme Laetitia Guédon qui refuse de se laisser enfermer par des thèmes forcément réducteurs. Son objectif est de proposer au public des spectacles qui témoignent de la diversité des formes et des approches esthétiques et le faire « hors des codes d’un théâtre traditionnel et des schémas habituels de l’action culturelle ». C’est-à-dire faire du processus de création l’élément de l’implantation en le partageant avec le territoire. C’est ainsi que chaque proposition artistique se double pour les compagnies en résidence d’un projet dit de transmission. Chacun étant construit sur mesure et en collaboration avec l’une des trente structures aujourd’hui partenaires (classes de CM2, lycées, collèges, foyers de jeunes travailleurs, d’immigrés ou de retraités). Ce peut être sous forme d’ateliers d’écriture, de chants chorals, de réalisations vidéo, de concert avec les habitants ou tout autre module donnant lieu à des échanges « qui fécondent aussi bien l’imaginaire de l’artiste que de ses interlocuteurs ».
Demander aux artistes de faire un pas de côté, de bousculer leurs habitudes, n’empêche pas de demander aux spectateurs d’en faire autant, en instaurant une tarification responsable de 5 à 30 euros selon le libre arbitre et les moyens de chacun et chacune. S’y ajoute un « billet suspendu » de 5 euros destiné à celui ou à celle qui n’a pas les moyens de payer sa place.

Etablir la porosité entre professionnels et amateurs

Si les diverses activités qui animent Les Plateaux sauvages ont été imaginées en cohérence avec le parcours de sa directrice, elles s’inspirent aussi du projet initial de l’architecte Jean Dumont qui, en 1966, n’avait pas créé comme on aurait pu le croire, deux bâtiments distincts , mais un seul avec « l’idée d’établir une porosité entre la pratique professionnelle et la pratique amateur et d’interroger le lien social par la circulation des publics ». Un objectif avec lequel l’actuelle équipe renoue par la mise en place d’ateliers de pratique amateur de théâtre, danse, musique, chant, et cirque. « La chance que nous avons ici est de pouvoir tout faire dans le même lieu et d’être dans un quartier qui est un des derniers bastions populaires et d’une grande mixité sociale, accueillir le public dans toute sa diversité est pour nous primordiale » , explique Laetitia Guédon dont l’objectif premier « n’est pas de révolutionner le théâtre » mais de faire, secondé en toute complicité par son adjoint Jean-Baptiste Moréno, que les Plateaux sauvages soient une foisonnante fabrique artistique ancrée dans son territoire tout en rayonnant dans le Grand Paris , mais aussi et à part égale un carrefour de rencontres et d’échanges, un espace ouvert et convivial comme une place de village, « un espace où l’enfant, l’adolescent, l’homme, la femme, l’immigré, l’analphabète, le curieux, le passionné , le timide ou l’anonyme peuvent emprunter les mots d’un auteur ou les gestes d’un chorégraphe pour se raconter et raconter le monde ». Un projet aussi innovant qu’ambitieux qui donne l’envie d’y aller voir et qu’elle résume en empruntant à André Malraux pour qui « l’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme ».

Les Plateaux Sauvages 5, rue des Plâtrières 75020 Paris tel 01 40 31 26 35
www.lesplateauxsauvages.fr

Avoir du 19 au 23 novembre et du 26 au 30 novembre « Les Mystiques ou comment j’ai perdu mon ordinateur entre Niort et Poitiers » 20h
Tarification responsable sur réservation

Photos © Baptiste Muzard photo 2 : « Les Mystiques…. »

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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