Paris, théâtre de la Tempête
Les Mystères de Paris d’Eugène Sue
La vivacité du feuilleton
Aujourd’hui, Les Mystères de Paris sont plus un mythe qu’un livre qu’on connaît dans le texte. Personne ne lit plus Eugène Sue, malgré les efforts d’un Jean-Louis Bory qui, il y a quarante ans, fit une mémorable biographie de ce rebelle hostile à la monarchie et à l’empire. Mais il y a eu des films, au cinéma et à la télévision, tirés de son roman le plus connu, celui qui se passe à Paris. Voilà qu’au théâtre, Charlotte Escamez a su compresser cette énorme somme feuilletonesque et en faire la matière d’un spectacle de deux heures. Que d’histoires en un seul récit ! Des vols, des viols, des truandages, des escroqueries de gens de la haute, des ignominies de gens du peuple ! Rodolphe mène une traversée des classes sociales pour défendre la vertu en faisant face au mal. Sur son trajet, d’étranges figures : la Chouette, la Goualeuse, M. Pipelet (un concierge : le succès de ce personnage fera que le nom propre deviendra vite un nom commun)…
C’est vraiment du feuilleton. C’est du Hugo sans le génie. Et puis, malgré tout, on a beau être socialiste en ce temps-là, on donne le beau rôle à un noble et non à un pauvre de la rue ! Mais le plaisir qu’on y prend vient de cette multitude d’intrigues et de coups de théâtre, ainsi que de tant de personnages rencontrés. William Mesguich a su faire de cet objet littéraire une machine de théâtre. Les acteurs se métamorphosent sans cesse, changeant de costume et de maquillage ; ils multiplient habilement les incarnations. Le plateau, le plus souvent dans des lumières nocturnes, change sans cesse d’aspect. Les éclairages de Mathieu Coutaillier, en grands traits liquides, sont stupéfiants. C’est une belle plongée dans la nuit du XIXe siècle. William Mesguich n’a pas cherché à placer les épisodes dans la géographie et l’imagerie du Paris d’antan. Son iconographie et sa direction d’acteurs sont plus romanesques qu’historiques. Il retrouve ainsi, dans ce spectacle très réussi, la vivacité imaginative de l’écrivain.
Les Mystères de Paris d’après Eugène Sue, adaptation de Charlotte Escamez , mise en scène William Mesguich, scénographie et accessoires d’Anne Lezervant, costumes d’Alice Touvet, son de Vincent Hulot, lumière de Mathieu Coutaillier, maquillage d’Eva Bouillaut, avec Jacques Courtès, Zazie Delem, Romain Francisco, Marie Frémont , Sterenn Guirriec , Julie Laufenbuchler , William Mesguich. Théâtre de la Tempête, cartoucherie de Vincennes, tél. : 01 43 28 36 36, jusqu’au 16 juin. Texte aux éditions des Cygnes.
Photo : Palazon