Du 29 novembre au 20 décembre 2024 à L’Odéon- Théâtre de l’Europe - Berthier 17è, Le Festival d’Automne à Paris.
Les Forces vives d’après Simone de Beauvoir par Camille Dagen et Emma Depoid.
Epouser son temps, le mettre en question et trouver sa propre liberté.
Simone de Beauvoir (1908-1986), philosophe emblématique, icône intellectuelle de gauche et figure féministe avant l’heure, compagne par ailleurs d’un poids lourd de la pensée du temps, Jean-Paul Sartre, a construit et accompagné la morale des jeunes générations qui ont vieilli depuis, et celle des autres après elles, traversant le siècle jusqu’aux eighties. La dame est témoin de la Grande Guerre, de la guerre d’Espagne, de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre d’Algérie, pays pour l’indépendance duquel elle s’engage, avec Sartre, prenant position contre la torture jamais avouée par les militaires français - repères fascinants sur l’état d’esprit d’une époque marchant vers la reconnaissance d’une liberté, ses élans et ruptures.
La dynamique compagnie Animal Architecte - la metteuse en scène Camille Dagen et la scénographe Emma Depoid - a conçu son spectacle Les Forces vives d’après Le Deuxième Sexe, Cahiers de Jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La force de l’âge, La force des choses (T. 1 & 2), de Simone de Beauvoir. L’appellation Animal Arhitecte désigne par ailleurs l’alliage de la pensée et de la sensibilité.
Aussi Camille Dagen évoque-t-elle avec à propos l’oeuvre de la vivante Simone de Beauvoir, telle la ligne de crête d’une tension courant entre angoisse et jubilation d’exister, deux sentiments à la fois opposés et concomitants dans cette expérience unique qui est celle de vivre. D’un côté, une aventure physique intense, charnelle et sensible - découverte de soi, son corps, son désir - et de l’autre, la pleine conscience des mots et des idées à élaborer et à respecter, dans cette rigueur finale de saisir, autant que possible, les contradictions du métier de vivre.
D’abord, la première Simone - elles seront cinq, de l’enfance à l’adolescence, en passant par la jeune fille, l’adulte et la femme mature - entre découverte du monde et celle du désir -, de vibrantes interprètes présentes et attachantes sur la scène : Marie Depoorter, Camille Dagen, Hélène Morellii, Nina Villanova, Sarah Chaumette. Elles peuvent incarner aussi Jean-Paul Sartre, tel ou untel, et avec humour le philosophe Paul B. Preciado ou Laure Adler malicieuse dans L’Heure bleue : « Mais Paul, on peut vivre aussi sans être homo ou bien trans…. » : adresses au présent.
A l’orée de la représentation, résonnent majestueusement les belles paroles beauvoiriennes sur le sentiment d’exister, de vivre, et de la mort en perspective.
S’ensuit l’apparition de Simone, enfant rebelle, punie dans son placard, cabinet réduit, puis confessionnal, petite loge qui monte dans les cintres, comme au cirque, une élévation qui ne fait qu’évaluer la propension à la liberté de la petite fille à l’émancipation, au désir de liberté - un ange céleste qui trouvera son territoire à soi.
Colères d’enfance contre la mère rigide et le père absent, amitiés d’adolescence - la chère Zaza qui disparaîtra, les amis Maurice Merleau-Ponty, Paul Nizan, Jean-Paul Sartre…, choix amoureux, joies et deuils : sont raconté les rudiments d’une biographie - pauvre petite fille riche qui décide de s’opposer à la morale des siens.
Et pour les rôles masculins et parfois féminins encore, de Poupette par exemple, la soeur de Simone, de son père aux amis de la jeune fille, Romain Gy et Achille Reggiani s’amusent sur la scène, facétieux, joueurs, comiques - élan et recul.
Autour des personnages, les parois creuses d’un appartement, des fenêtres vides, des lambris et des cadres sans vitre à composer, à décomposer et re-composer, tel un jeu de cartes dont on s’amuserait et qui laisse passer le temps et la variation de ses jours sans fin - sentiment de la vie qui va et de la conscience qui s’adapte ou se rétracte. Le passage de Jean-Paul Sartre sur la guerre d’Algérie pèse un peu.
Dénivellation des situations, des propos, de l’intime au groupe, distanciation et adresses au public, retours à la date de naissance des conceptrices, quatre ou cinq ans après la mort du Castor, que nous, les plus anciens, avons accompagnée depuis l’hôpital Cochin jusqu’au Cimetière du Montparnasse - foule d’admirateurs.
Un éloge de la vie qui s’écrit par l’autrice d’une existence qu’elle fait sienne -, depuis la jeune fille bourgeoise de bonne famille, catholique et conservatrice, du début du siècle à son émancipation : elle se regarde écrire ses Mémoires, sujet d’une entreprise littéraire en forme de puzzle, faite de morceaux du passé, de personnages choisis à encastrer dans un paysage, et d’une méditation existentielle au diapason politique du temps, des vibrations de la nature et des ciels changeants. A travers de beaux interprètes engagés dans le présent scénique.
Les Forces vives de Camille Dagen et Emma Depoid - Animal Architecte d’après Le Deuxième Sexe, Cahiers de Jeunesse, Mémoires d’une jeune fille rangée, La force de l’âge, La force des choses (T. 1 & 2), de Simone de Beauvoir (édit. Gallimard), conception et mise en scène de Camille Dagen, scénographie, collaboration artistique Emma Depoid. Avec Marie Depoorter, Camille Dagen, Romain Gy, Hélène Morelli, Achille Reggiani, Nina Villanova, Sarah Chaumette. Dramaturgie Rachel de Dardel, assistanat à la mise en scène et collaboration artistique en jeu Lucile Delzenne, création lumières Sebian Falk-Lemarchand, compositeur Kaspar Tainturier-Fink, création vidéo cadre Typhaine Steiner, conception vol Marc Bizet, Marinette Jullien, création costumes Emma Depoid, création de perruques Kuno Schlegelmilch. Du 29 novembre au 20 décembre 2024 à l’Odéon Théâtre de l’Europe (Ateliers Berthier - 17ème), Le Festival d’Automne à Paris. Du 12 au 21 mars 2025 à La Comédie - CDN de Reims. Du 8 au 10 avril 2025, Théâtre des 13 vents, CDN de Montpellier.
Crédit photo : Simon Gosselin.