Le tambour de soie de et par Kaori Ito et Yoshi Oïda
Les deux artistes japonais bien connus des scènes françaises composent un Nô moderne plein de grâce
Théâtre, danse, théâtre dansé ? Difficile de déterminer le genre auquel appartient ce Tambour de soie, spectacle elliptique autant qu’énigmatique programmé pour le Festival d’Avignon 2020 annulé pour cause de Covid. Il revient aujourd’hui sur la scène des Amandiers de Nanterre, signé par un bouquet d’artistes d’origine japonaise qui ont choisi la France depuis longtemps et bien connus des scènes hexagonales. En premier lieu, le comédien Yoshi Oïda, vétéran de la troupe de Peter Brook qui, à 89 ans, s’essaye ici à la danse pour la première fois. Ensuite la chorégraphe et danseuse Kaori Ito, formée à la danse classique occidentale qui, à la quarantaine, revisite le répertoire traditionnel de son pays. Enfin, le musicien Makoto Yabuki, présent sur un côté de la scène des Amandiers, accompagne la danse sur une batterie d’instruments traditionnels, du Japon mais aussi d’autres continents. Ce trio a travaillé sur un canevas fourni par le scénariste Jean-Claude Carrière (disparu l’an dernier) inspiré d’un vieux conte japonais retranscrit et adapté par Mishima dans ses Cinq Nô modernes.
Très cosmopolite, l’aréopage fait merveille dans ce spectacle métissé, court (à peine une heure), d’un extrême dépouillement, qui mêle texte parlé (parfois en français) et moments dansés au son des percussions. Empreinte d’une grâce mélancolique, la pièce accorde toujours la primauté au corps qui réagit aux émotions avant, le cas échéant, de laisser place à la parole. Une parole rare et très codifiée dite d’une voix rauque sur le mode Nô par le comédien. La scène est totalement nue, rehaussée par des éclairages très étudiés. Seul un rideau léger tapisse le fond de scène par lequel se font les entrée et sorties, en costumes rutilants pour la danseuse, très banals pour le vieillard.
Fantôme vivant
A l’origine situé dans les jardins d’un palais où un vieillard s’éprend d’une jeune princesse, le conte est transposé au monde du spectacle, la pièce devenant une forme de théâtre dans le théâtre. L’argument déroule l’histoire d’un vieux préposé à l’entretien d’un théâtre qui tout en nettoyant la scène tombe en admiration devant une danseuse qui répète son spectacle. La jeune femme le laisse ébahi lorsqu’elle lui tend un tambour japonais en forme de sablier et annonce qu’elle sera sienne s’il parvient à le faire sonner. Se vêtant de son costume traditionnel, elle se prépare à répéter la danse de la folie, issue du répertoire traditionnel japonais où gestuelle corporelle et musique sont synchronisées. Mais le vieil homme, malgré son désir de lui plaire, ne parvient pas à le faire sonner. Et pour cause : la surface du tambour est en soie et le vieil homme, impuissant, disparaît. En fait, il s’est donné la mort, ce dont témoigne sa blouse couverte de sang lorsqu’il réapparaît pour hanter la danseuse tel un fantôme vivant.
Pétri d’amertume, le récit est une fable sur la séduction et la transmission contée sur le ton allusif et subtil caractéristique de la culture Japonaise. On suit la métamorphose de la danseuse qui après s’être jouée du vieillard abandonne sa superbe et s’abîme dans la culpabilité. D’autant plus qu’elle a eu le sadisme de lancer au vieil homme, à propos du tambour : « Je l’aurais entendu si tu l’avais frappé une fois de plus ». Regrets éternels...
Le tambour de soie, aux Amandiers de Nanterre jusqu’au 26 novembre, www.nanterre-amandiers.com Texte : Jean-Claude Carrière inspiré de Yukio Mishima. Mise en Scène, chorégraphie et interprètes : Kaori Ito et Yoshi Oïda. Musique : Makoto Yabuki. Lumières : Arno Veyrat. Costumes : Aurore Thibout.
Photo : Christophe Raynaud de Lage