Barcelone. Gran Teatre del Liceu

Le grand Macabre de György Ligeti

De la terreur eschatologique à la vulgarité scatologique

Le grand Macabre de György Ligeti

Le mot espagnol “escatología” se traduit en français, à la fois par “scatologie” (“propos ou écrits grossiers où il est question d’excréments”) et par “eschatologie” (“ensemble de doctrines et de croyances portant sur le sort ultime de l’homme après sa mort et de l’univers, après sa disparition”). On peut penser qu’Àlex Ollé et Valentina Carrasco sont tombés dans le piège sémantique tendu par cette homonymie en transformant le message “eschatologique” –certes confus et délibérement mal fagoté- de György Ligeti et Michael Meschke issu de la pièce homonyme de Michel de Ghelderode (1937)-, en message tout bonnement “scatologique”.

En effet, ils ont présenté dans l’introduction une femme boulimique qui avale en grande quantité toute sorte de nourriture industrielle. Survient l’indigestion qui lui retourne l’estomac et embarque son cerveau dans un rêve angoissé, avec son cortège de situations absurdes, ubuesques. A la fin du cauchemar, la femme retrouve son état normal grâce à une défécation (un vomissement aurait été plus vraisemblable, mais passons) digne de La grande bouffe , et tire, victorieuse, la chaîne du WC. On n’est pas loin de penser que c’est bien cette fin que mérite au total l’œuvre de György Ligeti aux yeux des metteurs en scène.

De la cuisine sans grand respect de l’oeuvre

Caroline Alexander a commenté différemment la genèse de la pièce et le pedigree de son auteur lors de la création de cette coproduction à La Monnaie de Bruxelles (Webthea du 31 mars 2009) . Àlex Ollé, membre fondateur de la “Fura del baus”, utilise cette fois-ci pour son propre compte la cuisine élaborée par la célèbre institution, faite de spectaculaire –la statue de la femme, unique décor de la production est une pure merveille-, et de choquant, sans aucun approfondissement de l’oeuvre. Cela peut marcher pour des oeuvres à histoire linéaire, mais cela marche moins bien pour des oeuvres complexes : sa version du Chateau de Barbe bleue (Webthea 17 avril 2008) ne tient pas la comparaison avec celle de Patrice Caurier et Moshe Leiser (Angers 2007) malgré le beau travail du décorateur Jaume Plensa, et on se souvient de la bronca occasionnée à Bastille, théâtre paisible s’il en est, par l’insupportable mise en scène de Die Zauberflöte en 2005 (Webthea. Caroline Alexander 29 septembre 2008). Àlex Ollé utilise ici le subterfuge scatologique de l’indigestion –recours facile, potache, quelque peu osé- et détourne l’attention du public du côté eschatologique de l’oeuvre par un comique de répétition : les personnages entrent et sortent par tous les orifices de la monumentale statue féminine, les ministres entrent et sortent par l’anus au grand amusement du public licéiste. La « Fura dels baus » est un pur produit du pays, tout lui est donc permis.

Un événement à Barcelone

La pièce créée à Stockholm en 1978, mais programmée pour la première fois en Espagne par le premier théâtre de la ville, a produit un certain remous dans les milieux lyriques de la capitale de Catalogne. Elle a attiré un public « progressiste » quelque peu différent du public habituel : les applaudissements nourris et sonores à la fin du spectacle, ont surpris les acteurs, les équipes techniques et sûrement encore davantage la direction du « Gran Teatre ». Même la critique la plus traditionnelle (le journal « la Vanguardia ») n’a pas osé exprimer clairement sa pensée et s’est inclinée devant l’événement, conseillant à ses lecteurs d’aller voir le spectacle …parce qu’il le fallait, sans avancer aucune autre raison.

Et le spectacle dans tout cela ?

Saluons comme il le faut, tout d’abord le directeur de l’orchestre du Liceu, Michael Boder, et l’orchestre lui-même pour la maturité de l’interprétation de la partition complexe de György Ligeti. Du début à la fin, la fosse a tenu les innombrables changements de rythme et a nuancé les infinies couleurs de la partition. On peut également saluer les solistes, davantage pour leurs performances vocales que dramatiques, exception faite du travail de Chris Merrit, immense à tout point de vue dans le rôle de Piet the Pot. Werner Van Mechelen a chanté Nekrotzar avec un art consommé, Ana Puche (Amanda) et Inès Moraleda (Amando) ont été des amoureux très convaincants et les ministres Francisco Vas (blanc) et Simon Butteris (noir) ont vraiment captivé le public lors de leurs interventions. Si Barbara Hannningan et sa voix céleste a convaincu dans le rôle de Vénus, son jeu –surfait, manquant d’autorité sur scène- a déçu dans le rôle de Gepopo.

Le grand macabre, opéra en quatre tableaux. Livret de György Ligeti en collaboration avec Michael Meschke fondé sur une œuvre de Michel De Ghelderode. Co production du Gran Teatre del Liceu, Théâtre Royal de la Monnaie, Opera di Roma et English National Opera. Mise en scène de Alex Oller i Valentina Carrasco. Direction musicale de Michael Boder. Chanteurs : Werner van Mechelen, Chris Merritt , Frode Olsen, Barbara Hannigan, Ning Liang, Brian Asawa, Martin Winkel, Ana Puche, Francisco Vas, Inés Moraleda...

Gran Teatre del Liceu les 19, 22, 25 et 28 novembre et le 1 décembre 2011.

Tél. +34 93 485 99 29 Fax +34 93 485 99 18 http://www.liceubarcelona.com exploitation@liceubarcelona.cat

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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