Le Roi Lear de Shakespeare

Des conflits ardus entre générations

Le Roi Lear de Shakespeare

Tragédie de la démesure humaine dans laquelle sont aux prises les uns et les autres, les pères, les fils, les héritiers - tragédie faite de vanité, de flatterie, de perfidie, de cruauté, Re Lear/ King Lear, telle toute pièce shakespearienne, est aussi une réflexion sur la condition existentielle. Elle est mise en scène par Andrea Baracco, avec dans le rôle-titre un géant de la scène, Glauco Mauri.

Cette tragédie titanesque est pour Andrea Baracco "l’une des plus noires et par certains côtés énigmatiques ». Glauco Mauri - quatre-vingt douze ans bientôt -, comédien mythique du théâtre d’art italien, joue Lear pour la troisième fois, il explique : "Pour Lear, ce ne sont pas seulement les compétences techniques mûries au fil du temps qui sont nécessaires, mais la richesse intérieure que les années m’ont apportée dans leur parcours, parfois fatigant".

Au cours de sa longue carrière artistique, Glauco Mauri a donné vie à vingt-quatre personnages shakespeariens. L’incarnation du Roi Lear revient à vivre un drame d’amour et de folie père-enfant. Le lieu magique de la scène contrebalance les limites des hommes : la scène raconte la vie poétiquement. Dans Le Roi Lear, « la vie elle-même, pour se raconter, doit devenir théâtre ».

Noir et lumière pour le metteur en scène : nul n’est capable de régner, d’assumer la charge du pouvoir, ne semble avoir la bonne stature, aucune tête n’a la bonne taille pour la couronne royale imposante et toujours trop grande - un Lear excessif face aux autres défaillants - géant et nains.

La scénographie offre une structure rehaussée d’un étage où flamboient les lettres KING LEAR, à la manière d’une enseigne lumineuse d’hôtel, et KING disparaît peu à peu avant de resurgir à la fin. Un escalier à jardin, un autre à cour, permettent de grimper sur les cimes ou d’en redescendre.

Pour évoquer les murailles d’un château médiéval, la vidéo propose le vol d’oiseaux nocturnes aux cris stridents de rapaces - mystère, inquiétude et angoisse -, et apparaissent les filles du roi, toutes trois élégantes et décidées, prêtes à affronter les exigences et la folie d’un pouvoir paternel abusif.

Le Roi Lear n’est plus qu’une ombre dans une Angleterre archaïque, un ordre féodal en voie d’extinction dont se moque le Fou, chapeau rouge flamboyant et humour noir cynique, spécialiste de l’art de jouer de l’absurde et du paradoxe.

Lear incarne l’orgueil méconnaissant les autres, se trompant, spoliant les justes et avantageant les perfides. Ne prêtant pas foi à l’amour sincère et pudique de sa fille Cordélia qu’il déshérite, il écoute en revanche les propos fallacieux et mielleux de ses deux autres filles équivoques.

Edmond, second fils du duc de Gloucester, est incapable d’appréhender un monde significatif. Faux moderne, il nourrit des pensées médiévales, indifférent à la crise du sacré perdu, révélant sa bassesse d’âme. Fils bâtard et maléfique, traître, les réalités triviales et animales sont sa règle.
A l’opposé, la figure du premier fils de Gloucester, Edgar, accusé à tort, agressé par son frère et méjugé par son père, représente le juste. Porteur de compassion lucidité et compréhension, devenu fou et errant, il questionne les injustices, les misères et les déraisons de la société. Le salut ne se trouve qu’en travaillant à celui des autres, sans égoïsme ni orgueil, pour échanger vraiment.

Imparfait mais voulant se ressaisir, comme tous les êtres, conscient de sa mort prochaine, Lear retrouve vie en trouvant les autres, s’oubliant, oubliant les illusions, abordant la vraie vie de l’esprit.

Les tourments de Lear, de Gloucester, les troubles d’Edgar, les désirs d’Edmund, les tremblements et les terreurs des trois filles du Roi, Cordelia, Goneril et Regan, attirent par la complexité et la violence d’un conflit universel transgénérationnel, entre pères humiliés et fils/filles manipulateurs.

Dans le rôle du fidèle comte de Gloucester, Roberto Sturno. Tous les acteurs et actrices sont admirables et efficaces dans leur rôle énigmatique et puissant de personnage shakespearien : Marco Blanchi, Eva Cambiale, Dario Cantarelli, Melania Genna, Francesco Martucci Laurence Mazzoni, Woody Neri, Giulio Petushi, Emilia Scarpati Fanetti, Francesco Sferrazza Papa.

Sur la lande finale où Lear crie sa folie- erreurs et trahisons -, la tempête manifeste des forces irrationnelles qui tendent au rétablissement de la vérité. Brutalité des dieux et des hommes, la nuit d’orage révèle la fragilité de la vie qui se fortifie de la solidarité instinctive pour le réconfort de l’autre.
A bon entendeur...

Le Roi Lear de William Shakespeare, traduction en italien de Letizia Russo, adaptation d’Andrea Baracco et Glauco Mauri, mise en scène d’Andrea Baracco. Décors et costumes Marta Crisolini Malatesta, musique Giacomo Vezzani, Vanja Sturno, lumières d’Umile Vainieri. Du 5 au 14 avril 2022 au Piccolo Teatro Strehler de Milan.
Crédit photo : Filippo Manzini

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Véronique Hotte

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