Du 29 janvier au 16 février 2025 au Théâtre des Bouffes du Nord.
Le Procès de Jeanne, mis en scène par Yves Beaunesne, musique de Camille Rocailleux. Avec Judith Chemla.
Une femme ose faire front aux hommes au nom de sa vérité intime.
Jeanne d’Arc (1412-1431) est une figure emblématique fascinante, encline aux controverses - parole libre et insolente, passionnée et distante - face aux juges qui la condamnent. Une légende, un destin sublime et énigmatique qui a interpelé Michelet, Brecht, Claudel, Péguy, René Char… Les minutes de son procès de condamnation sont un document historique éloquent - une leçon de politique et spiritualité -, l’oeuvre littéraire d’une analphabète intuitive de 19 ans, déjouant les pièges des hommes d’Eglise et de loi, qui l’accusent.
Entre le monde médiéval et la Renaissance, se tient le XV è siècle français dans le chaos de la Guerre de Cent ans, de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, des ambitions militaires de la Couronne anglaise.
De son côté, Jeanne arrêtée et harcelée réplique aux questions dans une langue oratoire libre et spontanée - fraîcheur et émotion - : « un style de prophète » (René Char). Elle veut ne parler qu’à Dieu et à son Roi de France, quand on lui demande de décrire ses « apparitions », ses « visions » et ses « voix », celles’ de Sainte-Catherine, Saint-Marguerite, Saint-Michel …
Pour Yves Beaunesne, Jeanne, avant de brûler sur le bûcher à Rouen, a donné la voix aux cris et aux doléances d’une population illettrée, dispersée et soumise à une toute-puissance cléricale et féodale. Le tribunal d’inquisition - membres de l’université anglophile de Paris - que préside l’évêque Cauchon devant lequel elle comparaît, la suspecte d’hérésie, d’idolâtrie, de sorcellerie.
Le metteur en scène heureusement inspiré, comme on le sait, a composé d’un point de vue théâtral, un oratorio scénique et scénographique magnifique de clarté et de pureté - la composition musicale est de l’inventif Camille Rocailleux, fidèle à Yves Beaunesne -, sur un livret de Marion Bernède, d’après la retranscription des minutes du procès - poésie brute et terrienne, selon la manière de l’époque, et lyrisme mystico-charnel. Avec la création-vidéo de Pierre Nouvel, et la présence intense de l’actrice et chanteuse lyrique à la belle voix cristalline, Judith Chemla.
La voix de Jeanne sur scène, les instruments et/ou chœurs donnent vie à un spectacle musico-vidéo-théâtral lyrique, une composition symphonique : présences des instrumentistes/choristes, sons, échos, répétitions bruitages, avec violoncelle et alto, cuivres, percussionniste et claviériste/synthétiseur.
Le tribunal est le théâtre par excellence d’une Justice écrasante qui diminue la femme face à une assemblée d’hommes. La scénographie bouleverse l’installation convenue, avec les juges alentour et Jeanne au centre, sur un plancher octogonal grisâtre - image de tour de prison ou de toile d’araignée. Derrière, la fosse d’orchestre des musiciens dans des boxes de tribunal, et derrière encore l’espace musical, un mur vertical au centre duquel trône encore un octogone - celui des juges -, telle une fenêtre ouvrant sur un écran vidéo, voûte céleste des cathédrales, miroir de cet entre-terre-et-ciel des hommes - terre nourricière et ciel spirituel, si ce n’est que les juges ne lèvent la tête ni vers Dieu ni vers le Ciel mais l’inclineraient plutôt sur le bas-monde.
Jacques Bonnaffé joue l’Evêque Cauchon, filmé au plus près de son visage piqueté de barbe grise, juge enfermé dans un corps - enveloppe charnelle bientôt saisie par l’âge, close sur ses préjugés, refusant toujours d’entendre l’Autre, la Femme, ses dits, ses non-dits, ses émotions, sa tension intérieure.
Jean-Claude Drouot et Thierry Bosc et les autres sont de faux-sages. Habit religieux à capuchon blanc, chandelle à la main pour les tableaux de maître.
Quant à Judith Chemla, elle est aussi fascinante que son personnage : tenace, mobile, accroupie sur le sable de sa cellule ou relevée, le regard aimanté par le firmament. Tonique, elle ne se dérobe pas aux questions, sûre d’elle, vibrante de convictions, face aux hommes qui la voudraient voir revêtir une tenue féminine qu’elle ne cessera enfin de refuser pour mieux résister et lutter dans un monde d’hommes, seuls détenteurs de pouvoir et d’action
Un bel accomplissement scénique, l’art du théâtre gagnant d’autant plus en limpidité et dévoilement qu’il est accompagné de la musique et du cinéma.
Le Procès de Jeanne - D’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc -1431, conception Judith Chemla et Yves Beaunesne, , mise en scène Yves Beaunesne, musique Camille Rocailleux, livret Marion Bernède, scénographie Damien Caille-Perret, vidéo Pierre Nouvel,
lumières César Godefroy, costumes Jean-Daniel Vuillermoz, coiffures et maquillages Catherine Bénard, assistanat à la mise en scène Juliette Séjourné. Interprétation et chant Judith Chemla (Jeanne d’Arc dite La Pucelle). Musiciens Mathieu Ben Hassen (Percussions, chant), Emma Gergely (Violoncelle, chant), Robinson Julien-Laferrière (Trombones, chant), Etienne Manchon (Piano et synthétiseurs, chant), Marie Salvat (Violon et alto, chant), Hippolyte De Villèle (Cor et bugle, chant). Du 29 janvier au 16 février 2025, du mardi au samedi 20h, dimanche 16 février 15h, relâche jeudi, au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 (bis), boulevard de La Chapelle 75010 Paris. Tél : 01 46 07 34 50 www.bouffesdunord.com Le 4 mars 2025 à l’Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand. Le 8 mars 2025 à l’Opéra de Vichy. Les 11 et 12 mars 2025 au Grand R, Scène nationale La Roche-sur-Yon. Les 19 et 20 mars 2025 au Théâtre de Caen. Le 25 mars 2025 au Centre d’Art et de Culture, Meudon. Le 27 mai au 2025 au Théâtre Impérial de Compiègne. Et à l’écran, Jacques Bonnaffé, Thierry Bosc, Jean-Claude Drouot, Patrick Descamps, Jean- Christophe Quenon, Léonard Berthet-Rivière, Michel Vanderlinden Eric Pucheu, Antoine Laudet, Frédéric Cuif, Eliot Berger.
Crédit photo : Guy Delahaye
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