Le Mariage de Figaro de Beaumarchais

L’aristocratie prise au piège

Le Mariage de Figaro de Beaumarchais

Qu’est-ce que Le Mariage de Figaro  ? Une fête ou un pamphlet ? Les deux, sous la forme d’une comédie classique qui renouvelle totalement la situation maîtres-valets et trace un tableau social d’une telle acuité qu’il conserve de l’actualité à travers sa beauté de peinture théâtrale à la Fragonard. A partir de l’histoire d’un couple de domestiques, Suzanne et Figaro, et d’un aristocrate aux intentions perverses, le comte Almaviva, c’est toute une société du mensonge et du droit de cuissage que Beaumarchais fait trembler. Il prend au piège les aristos mais il ne tient pas une ligne droite, il crée des tournois qui tournoient. Il s’attendrit, il est indulgent pour l’imprudent Chérubin, il est amoureux de presque toutes les femmes qu’il met en scène. En même temps, l’humeur du polémiste lui monte au nez et il confie ses pensées politiques à certains de ses personnages, Figaro bien sûr, mais aussi Marceline, un peu comme le fit Diderot, mais avec plus de fantaisie et moins de démonstration. Disons, pour aller vite, qu’on ne se lasse pas de ce chef-d’œuvre. Jean-Paul Tribout n’a pas les moyens des grands théâtres qui ne mégotent pas sur les budgets mais donne une exacte version où tout est resserré, concentré, légèrement allégé, sans que la liberté et les différentes cadences de cette folle journée soient sacrifiées.
Un seul décor, dû à Amélie Tribout, un ciel vert où se dessinent quelques encadrements de porte, permet que l’on passe sans heurts d’un lieu à l’autre, d’un premier à un deuxième plan. Les beaux costumes d’Aurore Popineau situent bien les rôles et les fortunes (pas de beaux draps pour Figaro ! ). Le jeu mis en jeu est vif et précis, avec cette opposition si claire entre les femmes et les hommes. Les premières ne sont que nuances, les seconds que lignes droites et tonalités tranchantes. Dans ce registre, Eric Herson-Macarel est un Figaro d’une grande personnalité : il n’est pas du tout un valet de comédie comme dans les gravures, mais un homme du peuple passionné, souffrant, lucide, clairvoyant. C’est un vrai Figaro moderne. Agnès Ramy, dans le rôle de Suzanne, c’est aussi le peuple, et la victoire du peuple dans une belle et folle gaieté. Christine Letort, qui interprète la comtesse délaissée, est une grande actrice dont on connaît l’art d’attraper les émotions les plus secrètes et les saisit ici dans la grâce et la langueur. En Almaviva, Xavier Simonin est un seigneur vêtu de noir toujours vainqueur dans la posture et toujours vaincu par ses propres stratagèmes : l’acteur sait éviter les états d’âme et détailler cette double postulation avec un style d’une parfaite netteté. Claire Mirande compose une Marceline exceptionnelle : la vieille abandonnée ridicule de la tradition devient avec cette comédienne quelqu’un de bouleversant. Comme, bien souvent, on avait mal compris ce personnage avant elle ! Marc Samuel, qui se charge à la fois de Bazile et de Double-Main, marque bien la drôlerie parfois inquiétante de ces gens de second ordre importants dans le corps social. Jean-Marie Sirgue (Don Gusman), Pierre Trapet (Antonio), Alice Sarfati (Fanchette), Thomas Sagol (Chérubin) et Jean-Paul Tribout lui-même (Bartholo) ont des natures, de la couleur, des singularités, les qualités qu’il faut pour ne pas reproduire ce qui a déjà été fait. Certains scènes de groupe souffrent un peu d’être représentées par une petite équipe – Beaumarchais écrivait en un temps où on ne lésinait pas sur le nombre d’acteurs et de figurants. Mais cela permet, parfois, une ligne plus dépouillée, des relations plus évidentes. A pièce de belle fracture spectacle de belle facture.

Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, mise en scène de Jean-Paul Tribout, costumes d’Aurore Popineau, décor d’Amélie Tribout, lumières de Philippe Lacombe, avec Eric Herson-Macarel, Marie-Christine Letort, Claire Mirande, Agnès Ramy, Thomas Sagols, Marc Samuel, Alice Sarfati, Xavier Simonin, Jean-Marie Sirgue, Pierre Trapet, Jean-Paul Tribout.

Théâtre 14,tél. : 01 45 45 49 77, jusqu’au 21 février.

Photo Lot..

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook