Ballet du Nord

« l’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »

Ballet du Nord

La cinquantaine sur-active, Sylvain Groud ,le directeur du Ballet du Nord (centre chorégraphique national de Roubaix Nord-Pas-de-Calais), ponctue ses phrases par des gestes de danseur. Dix ans au premier rang des danseurs du ballet d’Angelin Preljocaj, puis chorégraphe remarqué, il applique aujourd’hui à Roubaix une démarche originale, tendue vers les populations ségréguées culturellement dans la Région.
Le « CCN et vous », un slogan qu’il a inventé à l’intention des habitants du Nord comme un appel à un partenariat. Ce véritable mantra inspire toutes ses activités. Ce qui anime Sylvain Groud c’est de faire partager savoir et émotion à tous ceux qui ne viennent pas, tous ceux qui n’osent franchir la porte du « temple culturel » comme ces exclus imaginent, de loin, l’Institution. « Pour moi, cette volonté de renouer avec les publics est une quête perpétuelle. Je souhaite promouvoir une vulgarisation comme le font les grands scientifiques : partager sans jamais appauvrir la qualité des discours. »

LE BAL CHORÉGRAPHIQUE

Sylvain Groud incite sa compagnie et l’Institution qu’il dirige à investir tous les lieux de vie et de travail. Ce « hors les murs » est, pour lui, une voie obligée pour que les citoyens trouvent le chemin du lieu culturel. « C’est à Sénart et à Montbéliard, où j’étais artiste associé, que j’ai compris les bienfaits de cette méthode » A Roubaix et dans la région Nord, Sylvain Groud a découvert « la culture de rencontres, de fêtes, de danses collectives qui courent la région et particulièrement l’ancien bassin minier. Ces lieux sont devenus pour nous comme un laboratoire de recherches et, à l’occasion de l’anniversaire de l’inscription du bassin comme patrimoine mondial de l’Humanité par L’UNESCO, nous avons organisé des échanges de savoirs avec des associations polonaises, italiennes, maghrébines et, avec eux, pas à pas, au fil des ateliers, nous avons inventé le bal chorégraphique. Je commence à faire courir la méthode ici et là. » Ainsi Sylvain Groud et plusieurs danseurs du Ballet invitent les amateurs, formés en amont, à danser sur des chorégraphies contemporaines apprises au son de remix de succès publics crées par un DJ. « Tels des ambassadeurs culturels, ils incitent le public à participer au bal et font exploser les carcans du je ne suis pas capable ou je n’ose pas ». Ces mouvements collectifs conjuguent application et plaisir intense des participants d’âge et de situations divers. Les corps se répondent et explorent ensemble de nouvelles manières de s’exprimer. Les codes du langage de la danse contemporaine s’acquièrent. Le langage corporel offre un mode d’expression plus accessible, moins inhibant que le texte du théâtre.
Pour Sylvain Groud « le bal chorégraphique est, par excellence, un outil de démocratie culturelle » et « il y a urgence. Tout a volé en éclats, le rapport à l’autorité, la transmission par l’éducation et nous voyons la violence qui s’installe partout. » Le Ballet du Nord, au cœur d’une ville en crise, est confronté directement à cet état des lieux.

LE 19-21

Mais Sylvain Groud ne veut pas se laisser submerger par ces difficultés et invente des réponses comme le 19-21. « Tous les premiers mardi du mois, à 19 heures, je fais monter le public sur le plateau ; après une demi-heure d’échauffement, nous créons une pièce chorégraphique contemporaine sur le mode de l’improvisation durant une heure et demie. Un musicien de renommée nous accompagne comme, par exemple, le champion du monde de l’accordéon improvisé Alexandre Prusse ou François Xavier Roth qui dirige l’Atelier lyrique de Tourcoing ou la Compagnie du tire-laine, un groupe magnifique de jazz manouche. Nous avons débuté à soixante, nous sommes aujourd’hui plus de 110. Nous démocratisons la discipline car ainsi les participants, très divers acquièrent en toute confiance les clés pour une approche plus pointue des événements chorégraphiques. »
Avec cette tentative de mise à disposition pour la population de ces outils culturels, « nous accomplissons un acte politique, démocratique » explique Sylvain Groud pour qui tout marche de pair. Avec les jeunes les plus en difficulté, le chorégraphe ne baisse pas les bras. Face à leur violence qu’il voit comme une autodestruction, il est persuadé que la danse peut reconstituer une estime de soi, « une renarcissisation. Avec la danse, ils redeviennent quelqu’un. »

RÉENCHANTER LE RÉEL

Sylvain Groud « veut de la danse partout dans la ville ». Il a, par exemple, dansé un extrait de Trois sacres, une pièce crée avec la célèbre comédienne Bérénice Bejo à la gare de Roubaix. Cet événement chorégraphique, à huit heures du matin, se produisit devant des usagers interloqués partant au travail. Pour Sylvain Groud, ces impromptus, cette méthode qui « nous fait descendre du plateau pour aller à la rencontre des gens dans les lieux de leur vie quotidienne », sont la voie royale pour démocratiser la culture, « la manière de ré-enchanter le réel. » Des danseurs du Ballet se produisent ici dans un hôpital, là dans un établissement scolaire, ailleurs sur une place ou dans des « apéros dansés » ; ils s’organisent aujourd’hui pour inventer un événement dans une usine de meubles de la région.
« Le rêve serait de créer une pièce chorégraphique avec des musiciens pour un supermarché. J’aime offrir l’impensable » affirme-t-il.
Cette démultiplication des lieux de représentation dans toute la région commence à porter ses fruits. Quantitativement et qualitativement. Le dernier spectacle crée, Adolescent (voir photo ci-dessus), interprété par dix jeunes danseurs, en est l’exemple. Sylvain Groud a voulu que la première représentation soit exclusivement destinée aux adolescents de la ville. Il s’attendait au chahut habituel gagnant facilement ces publics. Il n’en fut rien. A sa grande surprise, tous ont été silencieux et attentifs ; les jeunes ont découvert comment, par le corps, on pouvait dire ce passage douloureux, étrange à l’âge adulte. Et l’accueil a été des plus enthousiastes. « Je sais que pour eux leur approche est devenue pérenne. La danse, c’est l’école de la démocratie culturelle. Tu as le droit d’aimer ou pas, d’exercer ton libre arbitre. Et je ne vois pas beaucoup d’endroits où cela se passe » constate-t-il. On comprend mieux pourquoi Sylvain Groud cite le poète et peintre Robert Filliou :« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. »

Représentations
« 19-21 », le 3 décembre à Roubaix
Dans mes bras (Sylvain Bourg et Patrick Pineau) le 29 novembre à Aubagne
Adolescent, le 8 janvier à Cherbourg

A propos de l'auteur
Michel Strulovici

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