Le Bourgeois gentilhomme de Molière et Lully

Jérôme Deschamps s’en donne à cœur joie dans la mise en scène et le rôle-titre de la comédie-ballet

Le Bourgeois gentilhomme de Molière et Lully

Fin des vicissitudes, on veut l’espérer, pour Le Bourgeois gentilhomme mis en scène et interprété par Jérôme Deschamps. Créée en juin 2019 au Printemps des Comédiens à Montpellier, la fastueuse production de la comédie-ballet de Molière et Lully, jouée, chantée et dansée, a vu sa tournée en France interrompue par le Covid-19. Elle arrive enfin aujourd’hui à l’Opéra comique, coproducteur du spectacle, non sans une dernière avanie : le chef Marc Minkowski, immobilisé à la suite d’une chute, est remplacé au pied levé par le jeune Théotime Langlois de Swarte, violoniste prodige notamment chez William Christie, qui mène avec entrain l’ensemble Les Musiciens du Louvre. Servie par une distribution princière d’acteurs, chanteurs, danseurs, musiciens, la farce désopilante créée pour le divertissement de Louis XIV en 1670 est colorée tour à tour de solennité et de poésie par la musique et les airs de Lully (et celle, ajoutée, de Charpentier).

C’est aussi un retour au bercail pour Jérôme Deschamps, ancien directeur de l’Opéra Comique, qui campe un Monsieur Jourdain ridicule, certes, mais touchant de candeur dans sa volonté d’apprendre et d’outrepasser sa condition de riche bourgeois auto-satisfait. Le créateur des Deschiens s’en donne à cœur joie dans ce rôle dont il appuie le grotesque dans ses contorsions pour danser le menuet, manier l’épée, ou faire la révérence à la Marquise Dorimène qu’il prétend courtiser. Au grand dam de son épouse, la vitupérante Mme Jourdain (Josiane Stoleru) et de la servante Nicole (Pauline Tricot), qui gardent les pieds bien sur terre. Les deux femmes voient clair dans le jeu trouble du comte Dorante, l’entremetteur, qui entend tirer profit de ses prétendues entrées à la Cour et abuse de la crédulité de Monsieur Jourdain.

L’affaire est à deux doigts de virer au tragique jusqu’à l’intervention de Cléonte, promis à la fille de la famille, Lucile, qui invente un stratagème génial pour contourner le veto de Monsieur Jourdain à cette union sous prétexte que le jeune homme n’est pas noble. Il décide d’entrer dans le jeu des rêves de grandeur du maître de céans et avec l’appui de son valet Covielle, se fait passer pour le fils du Grand Turc en visite à Paris. Monsieur Jourdain, ébloui par tant de noblesse et lui-même promu « Mamamouchi » lors d’une cérémonie turque burlesque, consent à tout avant d’être ramené à la réalité par sa femme et sa servante.

Paradoxalement de facture plus classique que celle proposée par la Comédie française voici deux ans (sans la musique de Lully ni les ballets), la mise en scène de Deschamps assume ses stéréotypes hérités de la Commedia Dell’arte et parsème le spectacle de gags de son cru. Les péripéties de cette pièce riche en retournements tiennent dans un décor unique, d’aspect d’abord austère mais se révélant astucieux, signé par Félix Deschamps. Figurant les salons du Bourgeois, la scène est enserrée entre trois parois de couleur bois dans la hauteur desquelles s’ouvrent des niches, qui sont comme de scènes annexes où se jouent des saynètes. En fond de plateau, un balcon amovible à rideaux s’avance par intermittence vers le public, sorte de haute tribune pour les protagonistes qui s’y exposent. Monsieur Jourdain fait son entrée au son d’un vieil enregistrement du Te Deum de Charpentier dont la solennité contraste avec la vulgarité criarde du personnage.

Le ridicule est accentué par les costumes, chapeaux et autres perruques qui rivalisent d’imagination et d’excentricité avec leurs teintures colorées, le tout conçu par Vanessa Sannino qui marque un soin pour le détail des matières et des couleurs. Les accessoires les plus inattendus et anachroniques surgissent tout à trac ajoutant au burlesque : fer à repasser à vapeur brandi par la servante, gants de vaisselle exhibés par une bergère, ou encore cochon servi entier au grand dîner donné pour la Marquise dont Monsieur Jourdain extirpe un saucisson, des tranches de jambon sous vide et même un hot dog !

Le spectacle long (plus de trois heures dont un entracte) est un peu étiré avec des temps morts malgré la vitalité déployée par le chef qui, dans la fosse, ne se donne pas de répit.

Photo Stefan Brion

A l’opéra comique jusqu’au 26 mars, www.opera-comique.com
Mise en scène : Jérôme Deschamps. Direction musicale : Théotime Langlois de Swarte. Décors : Félix Deschamps. Costumes : Vanessa Sannino. Chorégraphie : Natalie Van Parys. Lumières : François Menou.
Monsieur Jourdain : Jérôme Deschamps, Lucile : Pauline Gardel, le maître de philosophie : Jean-Claude Bolle Reddat, le maître de musique, le tailleur : Sébastien Boudrot, Covielle, le maître d’armes : Vincent Debost, Dorimène : Pauline Deshons, Cléonte : Aurélien Gabrielli. Dorante, le maître de danse : Guillaume Laloux. Madame Jourdain : Josiane Stoleru, Nicole : Pauline Tricot.
Chanteuses – eurs : Sandrine Buendia, Nile Senatore, Lisandro Nesis, Jérôme Varnier.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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