La vie de Galilée de Bertold Brecht

Ciel aboli

La vie de Galilée de Bertold Brecht

La Terre tourne autour du Soleil, une évidence qui a valu le bûcher à Giordano Bruno en 1600 pour avoir repris les idées de Copernic qui avait eu l’intuition de l’héliocentrisme mais n’avait jamais pu en apporter la preuve ce qui lui sauva la vie ; Des révolutions des sphères célestes écrit en 1530 seront mis à l’index par l’Eglise catholique en 1616 jusqu’au XIXe siècle. Galilée apportera les preuves qui manquaient à Copernic mais, accusé d’hérésie par le Saint Office, il devra abjurer en 1633 pour échapper à la mort. Cela ne l’empêchera pas de glisser sous le manteau ses Discorsi qui révolutionneront définitivement le savoir et la méthode scientifique. Brecht met en scène cette extraordinaire personnalité qui tient la théologie pour la reine des disciplines pourvu qu’elle ne se mêle pas de démonstration scientifique. Il s’agit de dénoncer l’obscurantisme entretenu par l’Eglise, le plus efficace des pouvoirs. Obscurantisme et croyances aveugles, la religion est bien l’opium du peuple, selon la célèbre formule de Marx. Il y va de la destruction d’un certain état du monde avec la mention de Galilée dans son Journal : « Ciel aboli », introduisant dans la pensée le doute fécond qui pourrait ébranler les fondements de l’Eglise.
Presque 30 ans après la mise en scène d’Antoine Vitez, alors administrateur de la Comédie-Française, avec dans le rôle-titre Roland Bertin, Eric Ruf s’attaque à une des pièces les plus populaires (avec Le cercle de craie caucasien) de Brecht et offre le rôle de Galilée à Hervé Pierre qui selon lui est un acteur dans la lignée de Roland Bertin.
Le Galilée d’Hervé Pierre est têtu, opiniâtre mais sans esprit de rébellion ; il est attaché passionnément à ses recherches, à la jubilation qu’elle lui procure et à la joie de transmettre et partager ses extraordinaires découvertes. Et quand il accepte assez placidement les arrêts de l’Eglise, au grand dam de ses admirateurs et disciples, c’est peut-être pour mieux poursuivre son travail en secret, malgré la cécité qui le guette, comme Brecht le laisse entendre. Hervé Pierre est comme un grand enfant habité par des rêves devenus réalité. Il n’exprime pas de rage de ne pas être compris et c’est peut-être la dimension qui manque dans la direction d’acteur et qu’avait si bien traitée Jean-François Sivadier en 2002 avec un Nicolas Bouchaud impétueux dans le rôle de Galilée.
Dans l’ensemble d’ailleurs la mise en scène d’Eric Ruf est presque trop belle avec ces monumentales toiles de maîtres de la Renaissance, signe du talent des artistes mais aussi symptôme de la puissance étouffante de l’Eglise qui ici, comme par redondance, finit par écraser aussi le plateau et les acteurs ; de même on admire les somptueux costumes de Christian Lacroix, brocards flamboyants ou austères robes de bure, qui pourtant accentuent une pesanteur qui engonce la pièce dans une dimension historique à travers une succession de tableaux magnifiques. Les comédiens de la troupe tous excellents dynamisent joliment le spectacle. Guillaume Gallienne est épatant de dérision dans le rôle du Maréchal Barberini, un temps protecteur de Galilée, Thierry Hancisse le cardinal Inquisiteur cynique et implacable. Florence Viala donne beaucoup de profondeur et de nuances au personnage de Madame Sarti, la servante.
Ecrite en 1939, revu en 1954, la pièce, qui garde toute son actualité, renvoie au combat de la raison contre toutes formes d’obscurantisme, religieux ou politique. « Celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n’est qu’un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel » dit Galilée. A méditer.

La vie de Galilée de Bertold Brecht, traduction Eloi Recoing ; mise en scène et scénographie Eric Ruf ; costumes Christian Lacroix ; musique, Vincent Leterme ; lumières, Bertrand Couderc
Avec Véronique Vella, Thierry Hancisse, Alain Lenglet, Florance Viala, Jérôme Pouly, Guillaume Gallienne, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Pierre Louis-Calixte, Gilles David, Jérémy Lopez, Nâzim Boudjenah, Julien Frison, Jean Chevalier, Elise Lhomeau, Birane Ba.
Et les comédiens de l’Académie de la Comédie-Française : Peio Berterretche, Béatrice Bienville, Magdaléna Calloc’h, Pauline Chabrol, Thomas Keller, Oliver Lugo, Noémi Pasteger, Léa Schweitzer, Jordan Vincent. A la Comédie-Française jusqu’au 21 juillet, à 20h30. Durée : 2h40.
Résa : 01 44 58 15 15
www.comedie-francaise.fr

©Vincent Poncet, collection Comédie-Française

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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