La péri sans le paradis

A la Cité de la musique, des voix à la fête mais un orchestre peu assuré nous privent du grand élan qui parcourt Le Paradis et la Péri de Schumann.

La péri sans le paradis

Schumann fait partie de ces compositeurs qui, au XIXe siècle, ont cherché à inventer des formes nouvelles. Ses quatre symphonies, par exemple, sont différentes les unes des autres, mais c’est dans le domaine lyrique qu’il s’est lancé dans les explorations les plus audacieuses. Ainsi, hormis l’opéra Genoveva (1850) ou la musique de scène pour Manfred, on lui doit des oratorios tels que les Scènes du Faust de Goethe ou Le Paradis et la Péri (1843), qui raconte le parcours initiatique d’une péri (fée de la mythologie persane) dans un Orient de fantaisie. Cette œuvre n’a rien d’une Passion, elle est sacrée au sens où l’entendait Claude Ballif (« La musique religieuse n’existe pas, toute belle musique est religieuse ») et, si l’on veut, est plus proche du Mendelssohn de la Première Nuit de Walpurgis que du Mendelssohn d’Elias. Elle compte aussi parmi les plus ruisselantes d’inspiration, notamment mélodique et orchestrale, qui soient sorties de la plume de Schumann. Les souvenirs du Mozart de L’Enlèvement au sérail et du Weber d’Oberon se mêlent ici à une nostalgie et à une recherche de couleurs inimitables.

Étonnante dans son propos et sa construction, cette partition exige des qualités aussi différentes (mais non pas contradictoires) que l’énergie, la délicatesse, ainsi qu’un grand sens de l’ivresse et de la poésie sonore. Laurence Equilbey s’y était essayée en février 2010, à la Cité de la musique, en parvenant à emmener l’œuvre jusqu’à son apothéose finale, malgré un Orchestre des Flandres assez peu chatoyant. Trois ans plus tard, dans la même salle, Emmanuel Krivine tente à son tour l’aventure avec sa Chambre philharmonique. Mais le résultat se révèle tout autre : l’élan n’y est pas, l’impression de morcellement est douloureux, les instrumentistes (cordes aigrelettes, bois défaillants) pourraient donner raison à tous ceux qui accusent Schumann de ne pas savoir écrire pour l’orchestre. On est loin du Schubert puissant et aérien de Marc Minkowski, lui aussi sur instruments d’époque (entendu le 8 octobre, toujours dans la même salle). Le Chœur Les Éléments, peut-être un peu timide, est en revanche d’une belle homogénéité, d’une grande clarté, mais pâtit de cette conception orchestrale sans grâce.

C’est le plateau de solistes qui mérite le plus d’éloges. Rachel Harnisch est une vraie Péri pleine d’envol à la voix transparente, et à ses côtés Ingeborg Danz un Ange presque maternel à force de présence. On aurait aimé plus d’abandon chez Ruth Ziesak, qui gomme une partie de l’émerveillement qui rayonne dans l’air sublime de la Jeune Fille, mais Topi Lehtipuu est un récitant idéal de retenue, et le sonore Rudolf Dresen donne son assise vocale à un ouvrage qui, à l’instar de Schumann lui-même, recherche sa santé dans une espèce de déséquilibre savamment négocié. Mais les plus beaux tempéraments et la Péri la plus convaincante ne peuvent pas à eux seuls forcer la porte du paradis.

photo : daguerréotype de Schumann en 1850 (dr)

Schumann : Le Paradis et la Péri. Rachel Harnisch, Ruth Ziesak, Ingeborg Danz, Topi Lehtipuu, Rudolf Rosen. Chœur de chambre Les Éléments, La Chambre philharmonique, dir. Emmnuel Krivine. Cité de la musique, 18 janvier 2013.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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