La mort de Jorge Lavelli

Un immense metteur en scène

La mort de Jorge Lavelli

Le metteur en scène franco-argentin Jorge Lavelli, qui avait obtenu la nationalité française en 1977, est mort le 9 octobre, à Paris, âgé de 90 ans. Il était né à Buenos-Aires en 1932. Il n’était pas issu, comme Alfredo Arias, de la vague des Argentins venus en France pour échapper à la répression du système péroniste. Fils de marbrier, il était arrivé à Paris grâce à une bourse du Fonds national des arts de l’Argentine, avait suivi les cours des écoles Charles Dullin et Jacques Lecocq et était resté dans la capitale française. C’est en remportant le concours de jeunes compagnies, avec sa mise en scène du Mariage de Gombrowicz, en 1963, qu’il s’était imposé comme un grand artiste. En 1975, il se révéla comme un important metteur en scène d’opéra avec son Faust de Gounod transposé dans la Première Guerre mondiale (transposition historique que l’Opéra de Paris reprit à plusieurs reprises).
A partir de ces années 60-70, il ne comptait plus les succès bâtis à partir des œuvres de Copi, Arrabal, Handke, Obaldia, Bourgeade, Ionesco, Gombrowicz, Pinter... Sa vision du Concile d’amour jouée par Francine Bergé, en 1969, fit scandale. Il montait aussi de grands classiques comme Le Conte d’hiver de Shakespeare, joué par Maria Casarès notamment, qui fut l’un des grands succès du festival d’Avignon en 1980.
En 1987, l’Etat lui confia la direction du Théâtre national de la Colline, construit à l’emplacement du Théâtre de l’Est parisien. Il l’ouvrit en 1988 avec sa mise en scène spectaculaire du Public de Garcia Lorca (pièce posthume où l’auteur espagnol ne cache pas son homosexualité). Il fait de la Colline l’un des plus novateurs théâtres de Paris avec des œuvres de Norén, Berkoff, Copi, Thomas Bernhard, Cossa, Billetdoux, Ionesco, Kribus, Badinter, Valle-Inclan, Kushner, Tabori… Contraint de mettre fin à son mandat en 1997, il fit ensuite d’étincelantes mises en scène d’opéra mais dut accepter de ne faire que de rares spectacles de théâtre dans de petites salles en France et parfois dans des salles plus importantes à l’étranger.
C’était un baroque qui dirigeait dans des mouvements intenses les acteurs qu’il aimait (Michel Aumont, Catherine Hiegel, Roland Bertin, Denise Gence, Maria Casarès, Christiane Cohendy, Jean-Luc Moreau…). Avec lui, tout le plateau vivait, tout avait un sens et une dynamique, décor et musique jouaient leur rôle avec plénitude. Il aimait les textes provocateurs et ceux qui cassaient les règles du jeu, parlant, par exemple, du « théâtre de l’inaction » pour Ionesco ou Thomas Bernhard.
Ces dernières années, on le rencontrait, accompagné de son amie Dominique Poulange, à certains spectacles et dans quelques réceptions. Souriant, amical (comme il l’était toujours quand il accueillait le public à la Colline), il parlait plutôt espagnol comme pour fermer la boucle dont il savait qu’elle arrivait à son terme. Ses textes théoriques ou narratifs, généralement écrits avec son directeur littéraire Alain Satgé, Lavelli, Opéra et Mise à mort (1979), Des années soixante aux années Colline, un parcours en liberté (1996), compenseront partiellement cette disparition que la planète théâtrale et lyrique ressent comme un deuil très violent pour les artistes et le public du monde entier.

Photo Tutti Magazine.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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