Pascale Bordet

La mort d’une grande costumière

La mort d'une grande costumière

Nous avons appris, avec surprise et tristesse, le décès de Pascale Bordet qui, âgée de 63 ans, nous a quittés le 15 avril, à Paris. Parmi les créateurs de costumes pour le théâtre, elle était l’une des figures les plus familières et les plus attachantes. Et les plus douées. Toujours vêtue de blanc, elle apparaissait souriante et discrète, mais c’est dans son étroit domicile-atelier, près de la rue du Louvre, qu’elle livrait ses batailles artistiques avec le dessin, les étoffes, les rêves des autres qu’elle faisait siens. C’est sous les combles, sous les poutres, sous le ciel d’un petit grenier qu’elle traçait ses croquis, peignait, mesurait, découpait, assemblait, avant de partager ses créations avec les gens de théâtre qui n’étaient pas loin, quand il s’agissait de salles comme le Palais-Royal, l’Œuvre, les Bouffes parisiens ou la Comédie des Champs-Elysées. Elle oeuvrait essentiellement pour le secteur privé parce que ses amitiés s’étaient constituées de ce côté-là, mais elle n’était d’aucune chapelle. N’avait-elle pas commencé, en 1982, comme apprentie aux ateliers de l’Opéra de Paris ? Ensuite, elle se mit au service de metteurs en scène et d’acteurs comme George Wilson, Jacques Dufilho, Jean-Claude Brialy (elle consacra même un livre à ce dernier, L’Ami Brialy, en collaboration avec Guillaume Evin, éditions Hugo Images, 2022).
Elle était aussi écrivain. On lui doit plusieurs ouvrages, dont un manifeste conçu avec Michel Bouquet, Habiller l’acteur (Actes Sud, 2014) . C’est dans Splendeur et Misère d’une costumière de théâtre (Hervé Chopin, 20168) qu’elle se raconte le plus. Elle y dit : « A 18 an, je suis arrivée à Paris, seule, sans un sou, une valise à la main, et des étoiles dans la tête. J’ai tout de suite été engagée à l’Opéra Garnier comme apprentie et j’y ai tout appris. Du bouton-pression à la coupe, jusqu’aux répétitions avec le patron : Rudolph Noureev. Après quatre années de dur labeur, je me suis lancée comme assistante costumière d’abord. Et j’ai très vite eu la chance de créer mes propres costumes. Pas d’école donc, mais celle du travail ; un solide apprentissage qui m’a modelée toute ma vie. » Elle aimait les textes, les voix, racontait avec quelle passion elle suivait les chroniques radiophoniques et « Le Masque de la Plume » de Pierre Bouteiller sur France Inter, et s’imposa grâce à des échanges d’idées avec ses camarades, les comédiens : Annie Duperey, Michel Aumont, Cristiana Reali, Isabelle Carré, Sara Giraudeau, Michel Bouquet, Francis Huster, Francis Perrin, Jean-Pierre Miquel, Nicolas Vaude… Voisine de l’acteur Jean-Paul Bordes et de l’écrivain Jean-Philippe Noël, elle vivait autant dans la fièvre des échanges que dans les secrets de la solitude.
Il y a ceux qui font des maquettes et donnent aux autres la charge de les concrétiser. Pascale Bordet, elle, mettait sans cesse la main à la pâte. Après la livraison des dessins, elle était là pour la confection, les retouches, pour la rencontre entre le costume et le corps de l’acteur. Artiste et artisane. L’un de ses livres, Cahiers secrets d’une costumière de théâtre (HC, 2012), est une mise en parallèle de ses dessins faits en coulisss et des photographies de Laurencine Lot : son talent graphique n’en ressort que mieux. Elle était un peintre et une affichiste. On s’apercevra que, derrière le festival coloré des tenues imaginées par elle et à travers les visages qu’elle traçait dans la succession des estampes qu’elle consacrait à un personnage, elle a aussi saisi, avec un humour tendre, l’âme d’une époque et d’un milieu.

Photo Laurencine Lot.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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