La Trilogie de la villégiature de Goldoni par Claudia Stavisky

Ascensions sociales illusoires et peines d’amour bien réelles.

La Trilogie de la villégiature de Goldoni par Claudia Stavisky

Titre donné par Giorgio Strehler en 1954 lors de la première création de l’ensemble en une seule soirée, La Trilogie de la villégiature composée de La Manie de la villégiature, Les Aventures de la villégiature, Le Retour de la villégiature, donne à voir des bourgeois de Livourne, voulant imiter les modes de la noblesse en s’adonnant aux migrations estivales de la villégiature, quitte à s’endetter pour faire briller les apparences lors de ces quelques mois. Les préparatifs du voyage, le séjour à la campagne et le retour à la ville exacerbent les vanités et les rivalités amoureuses.

Goldoni écrit dans ses Mémoires : « C’est à la campagne où l’on tient gros jeu, table ouverte, et où l’on donne des bals, des spectacles, et c’est là où la cicisbéature italienne (prendre l’état de chevalier servant d’une femme), sans nulle contrainte, fait plus de progrès que partout ailleurs. »
Si l’aristocratie et la riche bourgeoisie peuvent assouvir leur goût du luxe en caprices liés à ce nouveau pôle d’attraction qu’est le terroir, il n’en va pas de même pour les gens moins favorisés.

Par un mécanisme sociologique bien connu aujourd’hui, un objet, d’intérêt social d’abord, devient mode ensuite : dépouillé de sa fonction utilitaire, il devient objet de plaisir pour les possédants et symbole de promotion sociale pour les couches intermédiaires à qui le luxe coûte cher.

Et l’auteur indique dans sa préface : « Les personnages principaux sont de simples citoyens non nobles et non riches ; les nobles et les riches sont en effet autorisés, par leur rang et par leur fortune, à faire quelque chose de plus que les autres. Par ambition, les petits veulent passer pour des grands et c’est cette forme de ridicule que j’ai voulu mettre en évidence, afin de la combattre, dans la mesure du possible. »(Goldoni, Théâtre, par Nino Frank et Corinne Lucas, 1980).

Ce théâtre montre les contradictions intérieures de la bourgeoisie où s’affrontent une génération ancienne cramponnée à son mode de vie et limitée à ses affaires, et les nouvelles générations que les moeurs de l’aristocratie fascinent tant qu’elles cherchent à dissiper à leur tour dans les plaisirs de la villégiature et la galanterie, les vraies valeurs des ancêtres. Les porte-parole de l’auteur sont les serviteurs autonomes et lucides de La Trilogie de la villégiature. (Mario Baratto, Sur Goldoni,). Et Frédéric Borie dans la composition de nombre de ces valets ironise l’attitude de ses maîtres.

Dans le premier volet, ce sont les préparatifs du départ à la campagne ; l’atmosphère est fébrile, les jeunes gens font des dépenses folles et n’ont pas d’argent pour payer. Aux difficultés financières s’ajoutent des complications sentimentales : Giacinta, fille d’un bourgeois jovial et conciliant, est courtisée par Leonardo et Guglielmo. C’est avec le premier, couvert de dettes, qu’elle se fiance juste avant de se mettre en route pour Montenero, lieu des délices champêtres.

La deuxième comédie raconte le séjour à la campagne. Giuglielmo loge sour le même toit que Giacinta, invité par le père de la jeune fille. Sa présence discrète et assidue émeut la jeune fille. Pour se défendre de cet amour, Giacinta pousse Vittoria, soeur de Leonardo, dans les bras de Guglielmo qui se laisse faire par amour pour Giacinta. Une nouvelle imprévue rappelle Leonardo à Livourne ; les autres décident de rentrer aussi : fin de la partie de campagne.

Dans la troisième, Leonardo, poursuivi par ses créanciers, tente d’emprunter à un oncle riche. Or, ruiné, il est secouru in extremis par un ami, Fulgenzio - Eric Caruso raisonneur et convaincant-, qui lui trouve un emploi d’administrateur de biens à Gênes. Leonardo et Giacinta quittent Livourne pour rétablir les finances du premier ; l’éloignement géographique réglera les déchirements sentimentaux de Giacinta et Guglielmo : la désillusion guette ceux qui ont cédé à la frivolité de l’été.

Pour cette fresque populaire et saillante, Claudia Stavisky transporte les couleurs vives et facétieuses du théâtre de Goldoni dans l’Italie des années 1950. Vivacité des intrigues, virtuosité de l’art de l’acteur, spectacle solaire et attachant où la drôlerie est le véhicule des situations. Sur la musique des standards italiens des années 50 et 60, joyeux de danse, robes sémillantes et claires, décors changeants et psychédéliques des seventies, couleurs pastel et taches de lumière.

Les anciens tiennent leur rôle avec tact et gourmandise, Bruno Raffaelli en père de famille bonhomme, Daniel Martin en pique-assiette et langue de vipère stylé, Christiane Cohendy en dame au-dessus des médisances qui s’évertue sur le tard à rêver d’amour et d’un amant.
Nous ne pouvons tous les citer, mais les jeunes gens s’en donnent à coeur joie : Benjamin Jungers en prétendant sincère et homme d’affaires brinquebalant, Maxime Coggio en éternel éconduit…

Les femmes ont la part belle, et Giacinta est lucide : « Je ne suis pas née esclave et je ne veux pas en être une ! » Engagée dans la guerre des sexes et l’émancipation des femmes, elle refusera de céder au désir et choisira, comme bon nombre de féministes de la fin du XVIII è siècle qui préféreront l’amitié à l’amour, le calme du coeur et le célibat. »( Franck Medioni, Carlo Goldoni)

Pétillante et lumineuse est Savannah Roi pour le rôle de Giacinta, tandis que la piétinante Pauline Cheviller dans celui de la rivale est agaçante à souhait - Isabelle Adjani et Liz Taylor réunies. Quant à la libre Julie Recoing - Brigida, femme de chambre pleine de sagesse et d’à-propos -, elle déploie les mêmes vues d’émancipation féminine et les possibilités d’échapper à sa condition.

Un tournis festif bienfaisant, même si le propos est décalé en des temps sombres et peu avenants.
La Trilogie de la villégiature, texte Carlo Goldoni, mise en scène Claudia Stavisky, traduction et version française Myriam Tanant, adaptation Claudia Stavisky, scénographie Christian Fenouillat, costumes Graciela Galan, lumières Franck Thévenon, son Aline Loustalot, Jean-Louis Imbert, vidéo Etienne Guiol. Avec Frédéric Borie, Éric Caruso, Pauline Cheviller, Maxime Coggio, Christiane Cohendy, Anne de Boissy, Benjamin Jungers, Lise Lomi, Daniel Martin, Marin Moreau, Bruno Raffaelli, Julie Recoing, Savannah Rol. Du 20 septembre au 8 octobre 2022, à 19h30, et dimanche à 16h, relâche le lundi, au Théâtre des Célestins 4, rue Charles Dullin 69002- Lyon. Tél : 04 72 77 40 00 theatredescelestins.com
Crédit photo : Simon Gosselin


A propos de l'auteur
Véronique Hotte

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook