La Ronde de nuit par le Théâtre Aftaab

L’Asile et l’exil

La Ronde de nuit par le Théâtre Aftaab

Enfant de l’amour du théâtre et de la solidarité, le Théâtre Aftaab, (soleil en persan dari) est né en 2005, « au milieu des ruines et des roses d’un jardin de Kaboul », des suites, pour le moins heureuses, d’un stage d’Ariane Mnouchkine et de sa troupe, dans la capitale afghane. « C’est ainsi, précise un des comédiens alors stagiaire, que dans un mouvement incrédule et incroyable, nous avons changé le chemin de notre vie quotidienne de Kaboul ».

Huit ans plus tard et avec l’amical soutien du Théâtre du Soleil, la troupe est devenue « un théâtre en voyage » dont la scène est tout à la fois terre d’asile et de liberté, porte-voix d’un peuple et chambre d’écho de ses déchirures, de ses colères, de ses espoirs. Dans leurs bagages, déjà une demi-douzaine de spectacles présentés en Afghanistan, en Inde, au Tadjikistan, au Pakistan et bien évidemment en France, notamment au Théâtre du Soleil qui accueille le Théâtre Aftaab pour ce qu’il est, un membre de la famille, un petit frère qu’on regarde et aide à grandir. C’est là, presque chez elle en somme, que la troupe afghane a réalisé sa première création collective Ce jour-là qui, entre farce et tragédie, brossait le paysage chaotique de l’Afghanistan, de l’arrivée des talibans à celle de l’armée américaine.

C’est encore là, qu’aujourd’hui, la troupe ayant appris le français et poursuivant son épopée créatrice a concocté , en version bilingue française et persan dari, La Ronde de nuit dont la facture ne doit rien aux pinceaux de Rembrandt, mais pas mal à la greffe dont la troupe est issue.

Cette Ronde de nuit , création collective mise en scène par Hélène Cinque, est celle que fait Nader par cette glaciale nuit d’hiver où il vient d’être engagé comme gardien d’un théâtre plus ou moins abandonné. C’est aussi celle des visites inattendues et des évènements inopinés qui vont émailler sa première nuit et ainsi faire entrer le monde extérieur et ses fractures au cœur du théâtre : du flic suspicieux dont la seule vue vous culpabilise, même s’il cite Hamlet, au SDF encombré de bagages, en passant par la bande d’afghans, immigrés comme lui, à laquelle il donne asile jusqu’au matin. Des hommes et des femmes déracinés, redoutant « la grande prison salafiste » et qui, pendant toute une nuit de sommeil et d’éveil, vont l’entourer de leurs rêves et leurs cauchemars.
Une traversée nocturne, où il est question d’ici et de là-bas, où se racontent avec humour et tendresse les clivages d’une société prise entre le poids de la tradition et la force du présent, notamment à travers une désopilante vidéo transmission entre Nader et sa femme et la famille de celle-ci restée à Kaboul. Si la troupe épingle quelques unes des plaies afghanes, de la guerre des clans à la guerre des sexes, le regard d’immigrée qu’elle porte sur les français que nous sommes est tout aussi acéré. « C’est que, dit-elle, la paix blessée d’ici est aussi notre question » .

Dans l’ingénieux et suggestif décor dont les éléments ont été puisés dans les réserves du grand frère, le Théâtre Aftaab fait merveille. Tout y concourt de l’environnement sonore aux jeux de lumières, de l’alacrité des comédiens engagés cœur et corps, à la beauté des images où parfois passent des ombres douloureuses.
De toute évidence ce jeune Théâtre du Soleil afghan, non seulement s’est aguerri, mais devrait pouvoir rejoindre la cour des grands, en atteste cette Ronde de nuit théâtre intime et politique, lucide, drôle et déchirant . Allez donc le vérifier. De plus et comme toujours au Théâtre du Soleil, vous serez accueilli en amis.

La ronde de nuit, création collective du Théâtre Aftaab, mise en scène Hélène Cinque avec Haroun Amani, Aref Banuhar, Taher Baig, Saboor Dilawar, Mujtaba Habibi, Mustafa Habibi, Sayed Amad Hashimi, Farid Ahmad Joya, Shafiq Kohi, Asif Mawdudi, Wioletta Michalczuk, Caroline Panzera, Ghulam Reza Rajabi, Omid Rawendah, Shohreh Sabaghy, Harold Savary, Wajma Tota Khil

Théâtre du Soleil jusqu’au 1er décembre durée 1h50 tel 01 43 74 87 63

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre...

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1 Message

  • La Ronde de nuit par le Théâtre Aftaab 14 novembre 2013 13:21, par Molineon

    Je ressens le besoin de poster une critique car je ne reconnais absolument pas le spectacle que j’ai vu dans les critiques presses et internautes, dithyrambiques et aveuglées par les bons sentiments dégoulinants de cette pièce : La Ronde de nuit.
    Ce spectacle mérite une adaptation télévisuelle pour TF1 car la grossièreté de son propos, la vulgarité de l’écriture de la pièce, et la simplicité niaise de son message - cette envie de réconcilier la police avec les immigrés clandestins qui vont tous ensemble sauver un théâtre – correspondrait mieux à une œuvre télévisuelle adressée à un public de beaufs car c’est le public sur lequel il pourrait agir. Mais sur la scène de ce magnifique Théâtre du soleil ? Face à des bobos de gauche pour lesquels la cause des immigrés est forcément acquise, quel est l’objectif ? Et bien l’objectif est simple, celui de nous faire rire en empilant les gags - sur un sujet aussi lourd que celui de l’immigration clandestine a-t-on vraiment envie de rire ? - et d’asséner des certitudes que j’ai trouvé, par moment, nauséabondes.
    La metteure en scène nous caresse dans le sens du poil, confortant les petits franchouillards que nous sommes dans notre fierté de la révolution et dans notre supériorité « démocratique » sur l’orient. J’ai failli vomir quand une blonde rentre sur scène en string et commence à danser en tordant du cul comme une stripteaseuse alors qu’un afghan, complètement excité est obligé de se mettre de la neige sur la bite pour débander... Mais quel mépris ! Car voilà ce que dit cette scène : « Toi petit afghan musulman, tu vois bien que ta bite peut être irriguée face au cul de nos blanches occidentales ! Hein ? Avoue ! T’en peux plus petit coquin ! Alors arrête de voiler ta femme ! ». Voilà le niveau de presque toutes les scènes. Les messages nous sont livrer avec la finesse d’un lycéen politisé... J’excuse le lycéen mais je n’excuse pas l’artiste de véhiculer ce type d’idéologie avec aussi peu de nuance.
    Et on continue avec la révolution française. Mais quand allons-nous, en France, commencer à nous tourner vers notre avenir ?
    Un afghan raconte à un autre complètement fasciné que c’est l’histoire française, Delacroix et La Liberté guidant le peuple qui lui a donné envie de venir France. J’aimerais savoir si la metteur en scène est allé se balader sous le périphérique pour capter des discussions de clandestins... Car apparemment, ces gens qui sont dans le dénuement et l’urgence la plus totale, ont le temps de philosopher sur l’histoire de France.
    Chaque scène est construite autour d’un message au mieux poussiéreux et consensuel, au pire bête et douteux. N’attendons-nous pas des artistes, de manière générale, qu’ils nous livrent une représentation complexe du monde ? Qu’ils mettent « des coups de pieds dans la fourmilière » ?
    La metteure en scène devrait regarder les films de Ken Loach et en prendre de la graine. Voilà une artiste qui n’a pas de certitudes et nous bouscule par sa vision du monde tout en « nuances de gris » alors qu’Hélène Cinque est dans le « noir et blanc ». Achète toi l’oeuvre de Ken Loach et mets-toi au boulot !
    De plus, le procédé de la pièce est une gigantesque prise d’otage. L’émotion étant tellement appuyée, nous n’avons, en tant que spectateur, pas de « porte de sortie ». L’émotion lisse et artificielle nous est martelée avec une telle force que nous devons tous RIRE ou PLEURER quand on nous le dit (ordonne). Je déteste cette « simplification » émotionnelle qui n’a finalement rien d’étonnant quand on constate la simplicité du discours. Je me suis senti pris en otage.
    Parlons un peu, maintenant, de la facture technique de la mise en scène. Il faut reconnaître qu’il n’y a pas d’erreur, que c’est « bien foutu », bien éclairé, et que l’on ne s’ennuie pas une seconde. Mais le jeu des acteurs n’est pas irréprochable, surtout celui de la metteure scène elle-même. On peut se demander si quelqu’un a osé lui dire, pendant la fabrication de la pièce, que son jeu est faux, en dessous de celui de tous les autres comédiens. Il aurait sûrement fallu le faire, ce qui nous aurait évité de commencer la pièce par un monologue poussif nous empêchant « d’entrer » dans l’histoire.
    Pour finir, après avoir lu tous ces articles positifs sur internet, j’ai commencé à me demander si les critiques de théâtre font leur travail. Les auteurs de ces articles parlent exclusivement de l’émotion brute qu’ils ont pu ressentir : pas d’analyse de fond, pas de réflexion sur le texte ni sur le propos. Quand on se base uniquement sur son ressenti on n’est pas critique, on est un spectateur lambda. Comment ces gens sont-il formés ? Comment accèdent-t-ils à la légitimité ? Ne devrait-on pas refonder entièrement ce métier ? Créer des écoles de critique ? Ou au moins des filières de critique dans les universités d’art ?

    Je voudrais aussi nuancer cette apparente unanimité qu’a suscitée La Ronde de nuit. Certes une grande majorité de personnes dans la salle a apprécié la pièce, mais une autre partie non négligeable a souligné les grandes faiblesses que je vous décris dans ce post « coup de gueule ». Tout de même, j’avoue avoir été déçu qu’autant de gens « se fassent avoir ». J’avais dans l’idée - naïvement - que le public du théâtre était un public au regard aiguisé, exigeant et capable de prendre du recul sur ce qui lui est donné à voir. Je ne pensais pas entendre autant de rires face à ces gags « raz les pâquerettes », dont la subtilité de l’écriture est celle d’un mauvais téléfilm... Et bien non : ce public bobo qui se perçoit lui même comme avisé, est comme tous les publics, il peut se contenter de peu. Grâce à La Ronde de nuit, j’ai rencontré une nouvelle frange de la population : les bo-beaufs !

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