La Garance à Cavaillon

La jeunesse d’abord

La Garance à Cavaillon

Face à un ensemble réunissant la médiathèque et le Centre des impôts, flamboie La Garance, la Scène nationale de Cavaillon et du Vaucluse. Depuis deux ans, elle est dirigée par Didier Le Corre, un « passeur » de culture au parcours enraciné dans l’éducation populaire.

Ce technicien du BTP de formation abandonne son métier d’origine pour une formation de directeur de MJC, puis se consacre au développement de l’Institut international de la marionnette/ Ecole nationale supérieure des arts de la marionnette de Charleville-Mézières comme administrateur sous la direction de Margareta Niculescu. Dans un contexte municipal volontariste, il ouvre un service culturel et un théâtre à Vitry-le-François. Le projet culturel qu’il y défend conjugue l’exigence artistique et « le retissage du lien social sur la commune. » Cette expérience, tout comme son passage à la direction de la scène conventionnée d’Albertville, lui servent de guide pour l’action à Cavaillon : « je travaille dans le Vaucluse, un des départements les plus pauvres de France. A Cavaillon, le taux de chômage est supérieur à 20%. Seulement 25% de la population obtient un diplôme au-dessus du brevet des collèges. Ici, les handicaps sociaux sont lourds. » La Garance ne vit pas dans un luxe somptuaire ; son budget de fonctionnement (1,6 millions euros) la place dans le peloton de queue des Scènes nationales en terme de moyens : « notre maison compte en tout et pour tout 12 permanents. Cette petite équipe très impliquée nous permet de consacrer, cette année, 49% du budget à l’activité artistique. »

L’éducation culturelle, un axe fondamental

« J’ai toujours considéré l’éducation artistique comme un axe fondamental de mon action dans les théâtres que j’ai dirigés. J’ai la chance qu’ici le travail en direction du jeune public a toujours été pris en considération. Un poste à plein temps est dédié à ce secteur. Et, par notre programmation, nous sommes l’une des Scènes nationales les plus engagées envers la création et le réseau jeune public. Nous avons accueilli 5.000 enfants et adolescents l’année dernière. L’éducation culturelle et artistique est forcément un élément essentiel qui doit irriguer l’ensemble de nos projets. »
Pour développer les expériences en ce domaine, La Garance s’est associée à l’université d’Avignon, au Théâtre des Doms, au Vélo Théâtre d’Apt, à l’Eveil Artistique des Jeunes Publics/Scène conventionnée pour le Jeune Public d’Avignon. Ils se sont saisis de l’opération « Belle saison » lancée au printemps 2014 pour travailler à travers une recherche-action à l’élaboration d’un projet vauclusien cohérent et pérenne concernant l’éducation au spectacle vivant et sa nécessaire inscription dans les politiques culturelles publiques.

Le compagnonnage

Didier Le Corre a initié une expérience sur le principe de l’artiste associé qu’il nomme « artiste-compagnon ». Il explique ce qu’il entend par l’idée de compagnonnage : « je me suis posé la question du sens de la permanence artistique. Pourquoi un artiste vient-il travailler ici ? Quelle peut être sa relation au territoire ? Comment la Garance-Scène nationale peut-elle accompagner le projet de l’artiste et l’artiste celui du théâtre ? A partir du constat d’une relation parfois difficile entre une population et un projet artistique, et la nécessité d’en agrandir l’audience, comment agir ensemble pour essayer d’établir une vraie rencontre ? C’est sur ces questionnements que s’est constitué le groupe des compagnons. Nous nous sommes réunis pendant deux jours avec la totalité de l’équipe et les huit artistes intéressés par l’aventure. Nous y avons débattu du sens de notre action sur ce territoire. Quand on présente le travail d’artistes « inconnus » d’une grande partie de la population, nous avons besoin de temps pour les faire découvrir, comprendre et apprécier. Ces artistes sont donc présents plusieurs fois pendant la saison avec des spectacles différents et des formats particuliers. Et ils sont très impliqués dans notre action de terrain. Par exemple, l’artiste-compagnonne Pauline Bureau, jeune auteure et metteure en scène, est venue avec sa Compagnie « La part des anges » en 2015 présenter Modèles. Cette année, elle nous revient en janvier avec Sirènes, spectacle Tout public, et en avril avec sa création Dormir cent ans pour les enfants et leur famille. »
Par ailleurs, Pauline Bureau et sa troupe inventent des interventions artistiques dans certains quartiers « difficiles » de la ville. Autre exemple, autre manière de faire avec Estelle Savasta et sa Compagnie « Hippolyte a mal au cœur ». Didier Le Corre explique : « Estelle a exprimé le désir d’écrire sur la thématique de l’adolescence, de la désobéissance, du rapport à l’autorité, au pouvoir. Elle souhaitait être en immersion en tant qu’auteure pour travailler le sujet avec des adolescents. Nous avons pris contact avec les professeurs et le proviseur du lycée Ismaël Dauphin de Cavaillon. Ils ont trouvé l’idée intéressante et Estelle y est accueillie en résidence pour six séjours de deux jours. 24 élèves, collaborateurs artistiques d’Estelle, n’auront pas cours pendant ces douze jours et travailleront avec elle, débats, ateliers d’écriture, improvisations… Elle viendra accompagnée d’un chorégraphe ou d’un musicien. Elle trouve l’engouement créé par sa proposition tellement impressionnant qu’elle a décidé de ne consacrer son travail cette année qu’à deux lieux : Cavaillon et Lille. C’est nous qui finançons le projet. C’est notre façon d’accompagner le travail de création. Les compagnons, pour nous, c’est une manière d’avoir une permanence artistique, un laboratoire de pensée et d’action. »
Visiblement, cette méthode commence à porter ses fruits. La fréquentation des spectacles de la Garance à Cavaillon et dans leurs déplacements dans les villages du Vaucluse est passée de 82% l’année dernière à 95% en ce début de saison. 45% de ces publics ont moins de 26 ans. Didier Le Corre et son équipe travaillent « au corps » la société vauclusienne sur le long terme, un combat jamais gagné dans une société en crise.

La culture, un remède contre le repli sur soi

Sa manifestation la plus évidente a été le score impressionnant atteint par le Front national aux dernières élections régionales. Marion Maréchal-Le Pen a été majoritaire à Cavaillon dès le premier tour ! Comment se situer face à cette montée en puissance du FN ? Didier Le Corre l’affirme : « il suffit de lire mes éditos pour connaître les valeurs que je défends. Mais je considère que l’on m’a confié un équipement public fonctionnant avec de l’argent public et ma volonté ici, au-delà de l’aspect artistique de ma mission, est d’ouvrir cette maison à tous pour engager le dialogue et débattre. Je me refuse, dans mes propos publics en tant que directeur de la Garance, à mettre en avant mes convictions politiques personnelles car ce serait immédiatement se couper d’une partie de la population qui pourrait ainsi refuser la rencontre. Par contre, j’entends pleinement exercer ma liberté d’expression dès lors que s’installe le débat, en présence des contradicteurs. Ce n’est certes pas une position facile à tenir. Mais il faut comprendre que si nous, aujourd’hui, ne travaillons pas à favoriser le débat, si nous désertons ces territoires, ils sont perdus pour longtemps si ce n’est à jamais pour l’existence et la survivance de valeurs humanistes.
Je fais une différence entre les militants du Front national, ses élus et la population qui vote pour eux. Je suis conscient qu’en Vaucluse, une personne sur deux au moins vote FN ! Je pense surtout à eux comme à des gens en difficulté, dans la douleur et qui doivent être à bout pour en arriver là. Dans une telle situation, notre mission avec les artistes c’est de tenter de renouer des relations, d’établir un dialogue avec la population pour qu’elle puisse imaginer d’autres voies que celles de l’exclusion, du rejet de l’autre, de l’intolérance. La culture a un rôle essentiel »
Comme Didier Le Corre l’écrit dans son édito-programme : « Pour vivre libre dans nos têtes, dans nos corps, rêver et imaginer un autre monde plus humain. » L’avenir sourira-t-il aux audacieux ?

Photo Patrick Roux

A propos de l'auteur
Michel Strulovici

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