La Campagne de Martin Crimp par Sylvain Maurice à la Scala Paris.

Un art de vivre bobo entre mensonges et petits arrangements

La Campagne de Martin Crimp par Sylvain Maurice à la Scala Paris.

La Campagne (2000) de Martin Crimp, traduite par Philippe Djian à L’Arche en 2002, est une pièce significative de l’écriture âpre de l’auteur britannique, encline à semer le doute, entre insinuations, questions laissées en suspens ou bien sans réponse, allusions approximatives, imprécisions, sous-entendus, non-dits que le spectateur aimerait élucider et tenter de comprendre.

A la recherche d’une vie plus tranquille, le docteur Richard et sa femme Corinne ont quitté Londres et vivent maintenant à la campagne. Un soir, Richard rentre avec une inconnue qu’il a trouvée étendue, dit-il, sur le bas-côté de la route. Le doute, tel un leitmotiv, s’infiltre dans les esprits.

La suspicion plane sur ce que dit Richard qui ment, sur ce que devine et pressent Corinne, Elle se répand sur leur ami Morris que nous ne verrons pas - dont on parle et qui ne s’exprime qu’à travers ses appels téléphoniques - et surtout sur cette inconnue Rebecca, qui se révèle équivoque ; or, elle seule est porteuse d’éclaircissements et de révélations, quant à la personnalité de Richard.

Ingrédients d’intrigue policière, suspens, tension et exploration de toutes les données du possible, entre réalisme, jeu et fiction, on ne sait décidément sur quel pied danser, comme dans la vie, entre sensation gratifiante d’être et certitudes malmenées tendant inéluctablement à la libération de soi.

Ecrite il y a presque vingt-cinq ans, la pièce ne résonne pas moins de l’acuité d’une extrême contemporanéité, entre le souffle irréversible d’une volonté émancipatrice féminine et le courant historique de mise au jour des vils agissements masculins patriarcaux, révolus depuis #MeToo.

Rebecca, la jeune et troublante amante du médecin, fait avec dérision et humour noir, le récit de son expérience malheureuse, un conte pour enfants que ceux-ci ne devraient certes pas écouter :

« Elle va voir un docteur et elle dit, docteur, docteur, j’ai mal, il me faut des médicaments. Mais le docteur n’a pas voulu lui en donner. Il lui a dit, va-t’en - ne me fais pas perdre mon temps - je n’ai pas de médicaments. Donc elle y retourne encore une fois et elle dit, docteur, docteur, j’ai vraiment très mal, il me faut des médicaments. Et cette fois, le docteur est allé jusqu’à la porte. Il a fermé la porte à clé… Parce qu’il avait violé toutes les règles - de la manière dont il voyait ça pour elle… des règles d’adultes… Parce que, voyez-vous, il y avait eu un affreux malentendu… avec le docteur qui était malade lui-même… »

Vision assombrie de ce que vivre veut dire, entre mensonges, trahisons, compromis et abus de pouvoir, aussi divers soient-ils : l’homme sur son épouse et sur sa maîtresse, celle-ci sur celle-là - une ronde sas fin des danses amères qui s’esquissent dans le bal improvisé de la suite des jours.

Manon Clavel, dans le rôle de l’intruse, pétille d’un bel esprit juvénile et provocateur, travaillant à ce que la vérité advienne et que les naïfs fassent le deuil de leur aveuglement - ce désir de ne pas voir. Yannick Choirat est un mari vif mais ambigu, calculateur et félon, enfant qui n’a jamais grandi.

Isabelle Carré joue à merveille l’épouse, entre ses deux comparses - tous interprètes sincères et nuancés. Elle est celle qui sait tout sans le savoir elle-même, au plus près de ses mots et à l’écoute de ceux des autres, non dupe et se projetant largement dans l’espace d’un présent rude.

Du beau théâtre mi-figue mi-raisin sur la condition existentielle, tiraillée entre vérité et petits arrangements décevants qui traduisent un mal-être dont on ne saurait se départir si aisément.

La Campagne de Martin Crimp, traduction de Philippe Djian (L’Arche Editeur), mise en scène de Sylvain Maurice, collaboration artistique Julia Lenze, scénographie Sylvain Maurice en collaboration avec Margot Clavières, lumières Rodolphe Martin, costumes Olga Karpinski, son Jean De Almeida. Avec Isabelle Carré, Yannick Choirat, en alternance avec Emmanuel Noblet, Manon Clavel. A la Scala Paris, du 13 mai au 18 juin 2023 à 21h du mardi au samedi -17h le dimanche- Relâche les 21 et 23 mai et 9 juin- Durée 1h20.

Crédit photo :Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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