La Calisto au Festival d’Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, jusqu’au 21 juillet

La Calisto au firmament des étoiles

Sous la baguette de Sébastien Daucé, l’opéra baroquissime du vénitien Francesco Cavalli est brillamment ressuscité.

La Calisto au firmament des étoiles

Tragédie glaçante, fable souriante, comédie hilarante ? On hésite sur la nature de ce « dramma per musica » (pièce de théâtre en musique) en trois actes et un prologue, petit bijou baroque créé par le prolifique Francesco Cavalli en 1651, à Venise. Dès le prologue, la metteuse néerlandaise Jetske Mijnssen semble trancher en plaçant l’opéra, dont le livret est inspiré des Métamorphoses d’Ovide, sous le signe de la tragédie. Mais la comédie reprend vite le dessus dans un mouvement de balancier perpétuel qui marque ce divertissement musical n’excluant pas l’émotion. Très riche, la co-production inaugurée au Festival d’Aix implique plusieurs opéras où elle tournera ensuite, en régions, à Paris, et au Luxembourg. Elle force l’admiration par l’aboutissement du travail musical et théâtral accompli.

Extrême raffinement

Certains choix de mise en scène peuvent surprendre et heurter. Mais tout dans ce spectacle respire le bon goût. À commencer par les décors et les costumes d’un extrême raffinement. Les trois actes de l’opéra en italien, sous-titré en français et en anglais, se déroulent entièrement dans une grande pièce tapissée de belles boiseries blondes. Avec, au centre du plateau, un carrousel tournant qui s’ouvre de temps à autre sur des scènes d’intimité ou d’alcôve comme des zooms sur telle ou telle intrigue.

De la Venise du XVIIe siècle, l’action est transposée à Paris, au siècle suivant, soit au XVIIIe. C’est, selon la metteuse en scène, le moment de la décadence de l’aristocratie qui, par oisiveté et ennui, s’ingénie à combiner des intrigues au détriment des plus faibles. Tout comme dans le roman épistolaire de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, qui lui sert de bible. En quoi la pièce s’insère bien dans la programmation du festival d’Aix 2025 placée sous le signe de Metoo. Après un Don Giovanni prédateur pédophile, et une Louise aliénée par un père incestueux, voici La Calisto, héroïne mythologique sacrifiée sur l’autel du désir masculin.

Roi des dieux travesti

Des intrigues, il y en a à foison, dans La Calisto, des vertes et des pas mûres, des innocentes et des cruelles, des drolatiques et des sordides. C’est le roi des dieux, Jupiter, qui donne le la, trouvant un moyen de régénérer le monde en voie d’extinction (suivre mon regard vers la période contemporaine) en harcelant la nymphe Calisto. Or celle-ci vouée au culte de Diane n’en a cure, n’éprouvant de sentiments (et même d’attirance physique) que pour sa déesse. Ulcéré par son indifférence, le roi des dieux se travestit alors en Diane pour conquérir la belle. Le plan réussit à merveille, non sans provoquer une série de quiproquos hilarants qui impliquent en cascade quantité de personnages et d’intrigues secondaires.

Ainsi, le berger Endymion et le Dieu Pan soupirent tous deux pour Diane et tombent dans le panneau de Jupiter travesti. De leur côté, Mercure, fils du roi des dieux, et le petit satyre Sylvain attisent les braises de la jalousie qui torture tout ce beau monde. La plus meurtrie étant Junon, l’épouse de Jupiter, qui, lasse de toutes les trahisons de son mari, s’en prend cruellement à la pauvre Calisto qui n’en peut mais et paiera au prix fort les épanchements divins. Elle la transformera en bête sauvage, en ourse (la pire des condamnations à l’époque), avant que Jupiter repenti ne la métamorphose en constellation, lui attribuant par là l’immortalité. Toutefois la metteuse en scène lui accordera la vengeance finale obtenue par un geste fulgurant, muet et meurtrier, aussi inattendu que cathartique.

Fastueux tapis orchestral

Quoique très long (3h30 avec un entracte), le spectacle servi par dix interprètes pour quinze rôles (certains en jouent plusieurs) ne tombe jamais dans l’ennui. Les scènes parlées sur un continuo alerte alternent avec celles chantées où se déploie un fastueux tapis orchestral, ponctué de grandes arias aux lignes très mélodiques et de duos d’une grande intensité théâtrale.

En fait, c’est à une véritable recréation de La Calisto que s’est livré le fin connaisseur du répertoire baroque en général et de Cavalli en particulier qu’est Sébastien Daucé avec son Ensemble Correspondances. Dans le passionnant programme de salle, le chef explique comment il a procédé pour adapter l’œuvre créée avec force machineries au Teatro Sant’Apollinare, la plus petite des salles privées qui fleurissaient alors à Venise avec seulement une centaine de places. Or la salle où elle est jouée à Aix, la cour de L’Archevêché, est dix fois plus grande (1 250 places). Qui plus est en plein air, donc soumise aux aléas climatiques, à la chaleur excessive ou à l’humidité, toutes choses dommageables aux instruments anciens ou encore au vent (le soir où nous y étions un vent fort tourmentait le son et glaçait le public).

Partition pas figée

Pour matériau de départ Sébastien Daucé ne disposait que de la partition originale laissée par Cavalli qui ne comportait que deux violons et une basse continue, soit six musiciens en tout et pour tout. Mais, à une époque où les compositeurs à succès ne laissaient pas une partition figée une fois pour toutes, ils l’adaptaient au fil de leur tournée, pour les salles bien plus grandes de Naples ou de Paris. Tout en respectant scrupuleusement la partition originale, Daucé l’a augmentée avec les notations portées par Cavalli lui-même pour les représentations ultérieures, et aussi avec des apports d’autres opéras de sa main et d’autres compositeurs contemporains. Un véritable travail de bénédictin sur deux ans, qui a conduit à une réorchestration complète pour un effectif d’une quarantaine de musiciens.

Le résultat se montre scéniquement et musicalement à la hauteur d’un pareil investissement. Composée de jeunes chanteurs qui ont le physique de leur rôle, la distribution est de bonne tenue. Dans le rôle-titre la soprano Lauranne Oliva fait preuve d’une fraîcheur et d’une grâce attendrissantes. La basse Alex Rosen compose un Jupiter de belle prestance, très drôle quand il se travestit en Diane avec sa voix de fausset qui trompe son monde avec jubilation. La mezzo Giuseppina Bridelli en impose en chaste Diane offusquée par les avances de sa suivante Calisto mais finalement conquise par son soupirant, le bel Endymion. Lequel est joué par le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian qui vocalise avec ardeur et agilité. Mais le panel des rôles principaux est dominé par la mezzo Anna Bonitatibus, consacrée par les plus grands chefs, dont Ricardo Muti à la Scala de Milan. Elle campe une Junon véhémente, grande héroïne tragique qui sauve son hubris avec la cruauté de l’animal blessé.

Photo : Monik Rittershaus

Francesco Cavalli : La Calisto. Avec Lauranne Oliva, Alex Rosen, Giuseppina Bridelli, Paul-Antoine Bénos-Djian, Anna Bonitatibus, Zachary Wilder, David Portillo, Dominic Sedgwick, Théo Imart, Douglas Ray Williams. Mise en scène : Jetske Mijnssen ; scénographie : Julia Katharina Berndt ; costumes : Hannah Clark ; lumière : Matthew Richardson ; chorégraphie : Dustin Klein ; dramaturgie : Kathrin Brunner. Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé.
Théâtre de Archevêché, 7 juillet 2025. Représentations suivantes : les 10, 12, 15, 16, 18, 20, 21 juillet à 21h30
(https://festival-aix.com/fr)

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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1 Message

  • La Calisto au firmament des étoiles 16 août 17:02, par Martine Jourdan

    Bonjour Noël
    J’ habite Aix en Provence depuis 45 ans...C’est donc bien toi qui a traversé le Bd périphérique devant moi, arrêtée au feu rouge, début juillet ; je t’ai reconnu, donc tu n’as pas (trop) changé ! la prochaine fois que tu viens à Aix, fais moi signe, çà me ferait plaisir de te voir
    Je t’embrasse
    Martine

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