Critique – Opéra & Classique

La Bohème de Giacomo Puccini

Une direction d’orchestre magistrale, des voix superbes, une mise en scène en errance galactique

La Bohème de Giacomo Puccini

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Pour Claus Guth, metteur en scène de cette nouvelle production de La Bohème de Puccini à l’Opéra National de Paris, la réponse est nette, ce sera compliqué ! Quoi de plus simple en effet que cette bohème aux parfums de nostalgie où cohabitent artistes saltimbanques fauchés et amoureux ?

Cela se passait hier quand Henry Mürger (1822-1861) décrivait ses « Scène de la vie de Bohème  », puis quand Puccini (1858- 1924) en tira ce qui deviendra le plus populaire de ses opéras. Cela se passait hier encore mais plus près de nous quand Jonathan Miller transposa leur romance dans le Paris des années trente pour la mise en scène qui tint l’affiche à l’Opéra de Paris durant une vingtaine d’années.

Claus Guth donc préfère franchir le temps et l’espace, sa Bohème, n’est plus d’hier ni d’aujourd’hui mais de demain. Ou même d’après-demain, dans les sphères stellaires d’un cosmos flottant dans l’infini. L’idée est habile. Est-elle utile ? De fait elle pourrait servir de toile de fond à grand nombre d’opéras. Encore faut-il qu’elle soit adaptable à l’œuvre qu’elle est sensée servir. Les personnages de cette Bohème, leur histoire pourraient se caser dans d’improbables ailleurs. Pas sa musique. Aucune compatibilité ne s’exprime entre ce que l’on voit et ce qu’on entend.

Quand, après l’ouverture somptueusement propulsée par le maestro vénézuélien Gustavo Dudamel, le rideau se lève sur le supposé intérieur d’un vaisseau spatial ouvert sur un néant où flotte la silhouette d’une planète qui pourrait être la terre, « on » - le public - attend patiemment de voir et d’entendre comment Rodolfo en casque et combinaison de scaphandre va faire vivre son personnage. Il est vieux, il part dans ses souvenirs de jeunesse. Le passé se superpose au présent. Mimi en robe rouge apparaît comme une hallucination. Les images déroutent, l’excellence de l’orchestre, le timbre finement nuancée du ténor brésilien Atalla Ayan font prendre patience.

Après l’entracte quand cette fois on découvre le paysage lunaire d’une planète ravagée où l’astronaute s’est échoué, une sorte de « trop c’est trop » soulève un tollé dans la salle. Rien ne va plus visuellement, et rien ne s’arrangera dans l’épisode du café Momus où mime et comédiens-figurants doublent les personnages en ballets superflus. Et même si le final avec Mimi, cette fois en robe blanche rejoignant son destin, ne manque pas d’élégance, la sauce habilement élaborée par Claus Guth ne prend pas. La Bohème décidément refuse de batifoler ailleurs que sur la terre.

C’est donc la musique et ses interprètes qui remportent les palmes. En Mimi somnambulique, Sonya Yoncheva commence par faire entendre la chaleur légère de sa tessiture depuis les coulisses. Elle la maintient ensuite face au public dans les poses raidies que lui impose la mise en scène. Est-ce celle-ci qui lui fait perdre une part son ampleur, quelques couleurs de son nuancier ? Son Rodolfo trouve en Atalla Ayan (qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris) un amant tendre aux aigus ensoleillés, Alessio Arduini qui dote Schaunard de graves d’encre noire, Artur Rucinski (Marcello), Roberto Tagliavini (Colline) forment le trio des artistes fauchés tandis qu’Aida Garifullina campe une Musetta de vaudeville, jeu pointu de meneuse de revue et timbre en vivacité acidulée.

C’est de la fosse que provient le meilleur : Gustavo Dudamel, magnifique chef d’orchestre né au Vénézuella, connu dans le monde entier, n’avait jamais été invité à diriger les instrumentistes de l’Opéra national de Paris. Il le fait avec une fougue dansante, un tempo tout en souplesse, un éventail de couleurs diaprées. Un enchantement pour l’oreille. Un bonheur pour Puccini.

La Bohème de Giacomo Puccini, livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après Henry Mürger. Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Gustavo Dudamel, chef de chœur José Luis Basso, mise en scène Claus Guth, décors Etienne Pluss, costumes Eva Dessecker, lumières Fabrice Kebour. Avec Sonya Yoncheva (1-12 décembre) et Nicole Car (16-31 décembre), Atalla Ayan (1-16 décembre) Benjamin Bernheim (18-31 décembre) Aida Garifullina, Artur Rucinski, Alessio Arduini, Roberto Tagliavini, Marc Labonnette, Antonel Boldan…

Opéra Bastille, les 1,4,7,12,16,18,21,23,26,29,31 décembre à 19h30 – le 10 décembre à 14h30

08 92 89 90 90 -+33 1 71 25 24 23 – www.operadeparis.fr

Photos Bernd Uhlig – Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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