Opéra National de Montpellier

L’Italienne à Alger, de Rossini

Musique, fou-rires et poésie

L'Italienne à Alger, de Rossini

Deux actes de folie enlevés à un train d’enfer, la poésie la plus rêveuse talonnée par l’extravagance la plus délurée, les crescendos les plus virtuoses métamorphosés en bulles de bandes dessinées : rarement le génie des emballements rossiniens a rencontré la connivence que vient de lui offrir l’Opéra National de Montpellier où son Italienne à Alger a fait crouler de rires et de plaisir.La prouesse est signée par un bataillon de filles qui se sont emparées à bras le cœur de l’incroyable tourbillon musical pimenté de vis comica composé par ce Gioacchino Rossini surdoué de 21 ans, fils d’un corniste et d’une couturière-chanteuse qui, en quelques oeuvres, était devenu la coqueluche de toute l’Italie mélomane. Réputation que son Italiana in Algeri allait étendre à l’ensemble de l’Europe et lui ouvrir à deux battants toutes les portes de la renommée. Une histoire de filles justement, féministes avant l’heure, donnant à l’héroïne du rôle titre tous les pouvoirs pour rouler les mâles dans la farine. C’est une turquerie comme elles planaient alors dans l’air du temps depuis Le Bourgeois gentilhomme de Molière ou L’Enlèvement au sérail de Mozart.

Des tours de passe-passe qui engendrent l’hilarité

La géographie n’avait rien à y voir pas plus que la logique : ici Mustafa, le bey d’Alger est un Turc pur jus qui rêve de l’Italie comme du paradis et des Italiennes comme de déesses. Justement l’une d’elle vient de faire naufrage : Isabella, amoureuse de Lindoro, autre naufragé devenu l’esclave du sultan. Celui-ci, tombé sous le charme de la bella ragazza, a répudié Elvira, son épouse éplorée, et s’est mis en tête de convoler avec l’irrésistible étrangère. Qui, maîtresse femme et plus futée qu’une couvée de renards, invente mille ruses pour lui échapper et fuir avec l’élu de son cœur. Et de jongler avec un chapelet de tours de passe-passe défiant le bon sens et engendrant l’hilarité. Autant de ressorts qu’Emmanuelle Cordoliani, à la mise en scène, flanquée d’Alice Laloy pour les décors et la scénographie - entre sérail déjanté et nostalgie d’Italie -, de Julie Scolbetzine pour les costumes - années cinquante et carnaval oriental - et de Kelig Le Bars pour les lumières, fait pétarader de trouvailles et de songeries. Elle n’est pas encore connue du grand public Emmanuelle Cordoliani, comédienne, dramaturge, prof d’art lyrique au Conservatoire National de Paris, ex- bras droit d’une brochette de metteurs en scènes aux talents pointus, et réalisatrice déjà d’une bonne poignée de spectacles musicaux et dramatiques, mais cette Italienne à Alger débordante de vitalité et de gaieté vient de la placer dans l’orbite des grands.

Un sens du jeu en parfaite adéquation avec la musique

Non seulement par les idées qui fusent et s’accumulent, par la gaieté contagieuse de ses anachronismes mais aussi par un sens du jeu en parfaite adéquation avec la musique. Sa direction d’acteurs, chose rare chez les metteurs en scène de théâtre, d’une précision d’horlogerie, tient compte de la spécificité des chanteurs lyriques. Grâce à elle, ils jouent Rossini comme s’ils jouaient Feydeau sans jamais pour autant se trouver en difficulté pour sortir en aisance les coloratures acrobatiques d’une partition qui regorge de défis. Isabella qui pilote l’action est destinée à la tessiture grave d’une mezzo. La Polonaise Ewa Wolak fait mieux avec son timbre de contralto capable de se hisser jusqu’aux cimes et de roucouler comme une perruche. Son allure de Magnani mâtinée de Sophia Loren en fait une meneuse idéale.

Un art consommé du raffinement

En Lindoro, le ténor américain Bruce Sledge lui donne une réplique justement savoureuse. Franck Leguérinel, baryton de chez nous auquel aucun grave ne fait peur campe un Mustafa macho-fanfaron irrésistible. Ricardo Novarro/Taddeo délicieusement pleutre, Aurore Ugolin/Zelma, Daren Jeffery/Haly, Jaël Azzerati/Elvira, le choeur et toute une bande d’enfants jouant aussi vrais que s’ils étaient à la récré complètent la distribution avec la même pêche...
Rossini composait à toute vitesse et sans états d’âme, accumulant les artifices avec un art consommé du raffinement, de la sophistication des effets. Il n’avait peur de rien, osait tout. Ainsi, à la fin de du premier acte, quand Isabella et Lindor se reconnaissent et qu’ils ne trouvent plus les mots pour dire leur émotion, Rossini leur invente des ding, ding, croâ, croâ, boum, boum : des bulles de bande dessinée datées 1813 ! Autant de variations dont le jeune chef Alain Altinoglu, à la tête de l’Orchestre National de Montpellier, ne perd pas une miette, passant avec fluidité des tempi endiablés aux envolées mélancoliques des bois et des vents.

L’Italienne à Alger, de Gioacchino Rossini, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Montpellier, direction Alain Altinoglu, mise en scène Emmanuelle Cordoliani, scénographie Alice Laloy, costumes Kelig Le Bars, chorégraphie Victor Duclos, vidéo Nicolas David. Avec Ewa Wolak, Franck Leguérinel, Bruce Sledge, Riccardo Novaro, Jaël Azzareti, Daren Jeffery, Aurore Ugolin. Opéra National de Montpellier à l’Opéra Comédie, les 5, 8 & 10 avril à 20h, le 3 à 15h. Tél. : 04 67 60 19 99.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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