Du 29 janvier au 2 mars au Vieux-Colombier de la Comédie Française.
L’Intruse et Les Aveugles de Maeterlinck par Tommy Milliot.
Ces Aveugles que nous sommes tous, la lucidité prémonitoire en moins.

L’Intruse et Les Aveugles, pièces de jeunesse (1890) d’abord publiées ensemble sous le titre Les Aveugles, signent la rupture du symboliste Maurice Maeterlinck (1862-1949) avec le naturalisme théâtral, la convention. Cette limpidité de la langue et cette dramaturgie énigmatique ont séduit Tommy Milliot, directeur du Centre dramatique national de Besançon, metteur en scène et scénographe sensible aux écritures actuelles - il a créé en 2020 à la Comédie-Française Massacre de l’auteure catalane Lluïsa Cunillé.
Ainsi sont mises en écho ces pièces à la tonalité étrange, des paraboles contemporaines sur la peur, l’inconnu, la solitude, les mystères de l’invisible, perspectives d’une pièce l’autre, sur ce qui ne se perçoit pas et la clairvoyance. Telles des allégories existentielles - des expériences de vie - confrontées au destin, à ses drames : l’aveugle est réduit à la connaissance immense de ne pas savoir, un témoin sans pouvoir aucun sur le cours fatal des événements.
Le pressentiment de la mort prévaut, dans L’Intruse et dans Les Aveugles, selon le concepteur scénique, s’arrêtant ici sur une petite société en quête de sens. Ces drames métaphysiques évoquent la finitude impartie à tous, la vie conçue tragiquement dans sa confrontation avec la mort. La cécité et ses images autorisent une aventure intérieure -vertige- au-delà des apparences.
L’Intruse offre un huis-clos lourd de la proximité de la mort pour une famille mise à mal par l’accouchement difficile de la mère dont se soucient l’époux, le beau-frère, la fille et le père, les trois premiers plus confiants et espérants, tandis que le dernier semblerait déjà « savoir » l’indicible et l’innommable.
Un intérieur sobre et pesant, orné d’une porte-fenêtre que les branches d’un arbre du parc effleureraient presque, les vitres largement ouvertes sur une lumière nocturne que la lune fait resplendir - un tableau vivant et tressaillant des cris de la nature, des chant des oiseaux, et de la perception ineffable d’une présence obscure rôdante, peut-être un jardinier fauchant les herbes…
Le temps présent de la représentation correspond à une attente, un suspens : les pauses sont longues entre paroles et répliques dans l’absence de réponses, si ce n’est cette intuition et la réalité de la mort qui clôt le cycle de la vie, après la naissance, et dans les deux pièces, un enfant nouvellement né porte, en dépit de lui, tous les attendus et toutes les intentions à venir.
Les Aveugles situe l’action sur une île, non loin d’une forêt, sous le vaste ciel dans la nuit noire, à moins que ça ne soit sous le soleil de midi, dans une saison hivernale particulièrement rude entre impressions de froid, gel et neige. Ces douze personnages d’une petite communauté de mal-voyants ou non-voyants sont abandonnés dans un vent glacial par le guide-prêtre défunt. Ne reste plus que leur questionnement intérieur dans la nuit de leur regard.
Isolement des êtres confrontés à leur aventure inédite d’être au monde.
Les interprètes jouent la situation de la non-voyance, extérieure, s’ils sont aveugles de naissance ou plus tardivement, ou bien, s’ils voient, ils souffrent de mal-voyance intérieure, clos dans l’incertitude du non-savoir : Alexandre Pavlov, Bakary Sangaré, Gilles David, Claïna Clavaron, Dominique Parent, Thierry Godard, Blanche Sottou, Aristeo Tordesillas et Charlotte Clamens, sont vêtus pour Les Aveugles dans des couleurs grisâtres, ocres et beiges, à la manière de La Parabole des aveugles (1568) de Brueghel l’Ancien.
Spectacle raffiné, cousu de silences, de pauses, de patience dans le tissage des répliques, cloches d’église résonnantes, paroles tues ou non advenues, lèvres scellées pour un mystère existentiel entretenu avec mélancolie.
L’Intruse et Les Aveugles de Maurice Maeterlinck, mise en scène et scénographie de Tommy Milliot, avec la troupe de la Comédie-Française, Alexandre Pavlov, Bakary Sangaré, Gilles David, Claïna Clavaron, Dominique Parent, Thierry Godard, de l’académie de la Comédie-Française, Blanche Sottou, Aristeo Tordesillas et Charlotte Clamens. Costumes Benjamin Moreau, lumières Nicolas Marie, son Vanessa Court, collaboration artistique Matthieu Heydon Assistanat à la scénographie Dimitri Lenin. Collaboration Comédie-Française / Nouveau Théâtre de Besançon. Du 29 janvier au 2 mars 2025, mardi 19h, du mercredi au samedi 20h30, dimanche 15h, au Théâtre du Vieux-Colombier 21, rue du Vieux-Colombier 75006 - Paris. comedie-francaise.fr
Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française.