Opéra National de Paris - Bastille

L’Amour des trois oranges

Féerie burlesque pour petits et grands

L'Amour des trois oranges

C’est un bout de La Monnaie de Bruxelles qu’il dirigea pendant dix ans, que le Belge Gérard Mortier, actuel directeur de l’Opéra National de Paris, a convié à l’Opéra Bastille pour un spectacle de fête : L’Amour des trois oranges de Serge Prokofiev réalisé avec une escouade d’artistes nés ou formés outre Quiévrain : en plus du directeur de la maison, le metteur en scène Gilbert Deflo, le chef d’orchestre Sylvain Cambreling (né à Amiens mais ayant longtemps tenu la baguette de l’Orchestre de La Monnaie) et José Van Dam, baryton-basse de pointure internationale et légitime fierté du plat pays. Le résultat est une féerie burlesque montée dans le goût de la commedia dell’arte, apte à dérider les plus moroses.

L’histoire d’un prince hypocondriaque

La référence aux origines du théâtre italien n’est pas fortuite puisque c’est d’une pièce de Carlo Gozzi que Prokofiev en tira l’anecdote, l’histoire d’un prince hypocondriaque, triste à mourir et que seul le rire pourrait un jour guérir. Son pauvre père se désespère et invente mille tours pour lui arracher un sourire. Rien n’y fait jusqu’à ce que la méchante sorcière Fata Morgana le condamne à se lancer dans la conquête de trois oranges magiques. Voyage initiatique où il découvrira à la fois l’amour de la princesse Ninette et les vertus de la bonne humeur. Contemporain de Goldoni, Gozzi voulut répliquer au grand nettoyage que son rival avait décidé de faire subir à la commedia dell’arte, en réunissant dans une même fable les masques de la tradition : Truffaldino, Pantalone, Brighella, Tartaglia, etc. Que Prokofiev reprit à son compte dans son adaptation lyrique composée dans les années 1918/1920 et créée en français en décembre 1921 au Lyric Opera de Chicago. Drainant dans sa composition tous les coups de pied assénés dans ces années-là dans la fourmilière des routines musicales. Soit une partition quasi parodique, truffée de citations, émaillée de pointes légères où s’expriment le cœur et le rêve, le tout enlevé à un rythme qui donne le tournis.

Des rythmes de music-hall, des lumières de prestidigitateur

Gilbert Deflo en prend à bras le corps les fantaisies bouffonnes sans chercher midi à quatorze heure des transpositions « tendances ». Et cela donne un spectacle clair et efficace, joli à voir, joyeux à écouter. L’espace est astucieusement occupé par une galerie surplombant les tréteaux mobiles de l’aire de jeu. C’est du théâtre dans le théâtre, où tous les changements se font à vue, conformément à l’écriture originale. Deflo lui insuffle des rythmes de music-hall, des lumières de prestidigitateur, des numéros de cirque avec personnages planants, cracheurs de feu, feux d’artifice, pluie d’étoiles, draps de soie qui dansent et apparitions loufoques d’une cuisinière géante ou d’un rat qui caracole et fait la roue. Le Prince est un Pierrot tombé de la lune et la princesse une Colombine descendue d’une étoile lointaine.
Charles Workman, longiligne et souple, timbre clair et diction parfaitement articulée, incarne à merveille ce prince mélancolique, en Fata Morgana, Béatrice Uria-Monzon, la voix toujours aussi ample et le phrasé toujours aussi brouillon, a de faux airs de méchante reine échappée de Blanche Neige.

Un tempo trépidant

José Van Dam/Tchelio joue les magiciens en cape et haut de forme avec l’intelligence scénique qu’on lui connaît, Aleksandra Zamojska campe une princesse qui pépie avec grâce, Barry Banks incarne un Truffaldino à l’abattage d’un Monsieur Loyal et Philippe Rouillon un Roi de Trèfle fatigué par les ans. Si la sécheresse de Sylvain Cambreling manque singulièrement d’humour, il insuffle en revanche à l’orchestre un tempo trépidant, en cadence impeccable notamment avec la célèbre marche. Les petits spectateurs de l’unique matinée de cette production pourtant faite pour eux, ne s’y sont pas trompés en frappant des mains et en trépignant des pieds. Ils y ont cru à la jolie fable. Au point de confondre les personnages et leurs interprètes. Ce dimanche après-midi la sorcière et tous les vilains de la fable se sont, comme à Guignol, fait huer au moment des saluts. Ce qui équivalait ce jour-là à un sacré compliment.

L’Amour des trois oranges, de Serge Prokofiev d’après Carlo Gozzi, Orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Sylvain Cambreling, mise en scène Gilbert Deflo, décors et costumes William Orlandi, chorégraphie Marta Ferri, avec Philippe Rouillon, Charles Workman, Hannah Esther Minutillo, Guillaume Antoine, Barry Banks, José Van Dam, Jean-Luc Balestra, Béatrice Uria-Monzon, Natacha Constantin, Aleksandra Zamojska, Victor Van Halem, Sébastien Bou, Lucia Cirillo, Letitia Singleton - Opéra National de Paris - Bastille, les 1,5,15,17,19,21,23,26,& 29 décembre à 20h. Le 11 décembre à 14h30. - Les 26 et 29 décembre pour une place achetée deux places gratuites seront offertes pour deux enfants .
Renseignements et réservations : 08 92 89 90 90.

A écouter sur France Musiques le 2 janvier 2006 à 20h.

Crédit photo : Eric Mahoudeau / Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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