Komidi, sur l’île de la Réunion

Une fête du jeu et du langage

Komidi, sur l'île de la Réunion

A travers la métropole française, peu de festivals peuvent se targuer d’avoir autant de bons spectacles, autant de public jeune que Komidi. Et aucun ne peut pratiquer des tarifs aussi bas que Komidi (un euro la place si l’on réserve par internet, deux si on prend sa place à la caisse). Qu’est-ce donc que Komidi ? Komidi (version créole du mot comédie), où, autre particularité, les enfants sont conviés à inviter leurs parents (sept euros pour la famille), est une manifestation qui a bien lieu en France, mais loin de l’Europe, sur l’île de la Réunion, département français de l’Océan indien. Non pas dans le chef-lieu (Saint-Denis) mais au Sud, à Saint-Joseph et dans une série de communes qui rejoignent la ville-pilote de Saint-Joseph : Saint-Pierre, Etang-Salé, Petite-Ile, Saint-Phillippe.
C’est ainsi qu’on peut rencontrer à Saint-Joseph et dans ces petites cités nichées à proximité de la mer et se glissant dans le vert profond des arbres et parmi les tiges haut perchées des cannes à sucre, des artistes venus de Paris et des différents points de la France : Elodie Menant ici pour jouer Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ?, Marie-Magdeleine présente pour reprendre son extraordinaire G.r.a.i.n. sur la folie, l’équipe du fameux Carnet de notes théâtro-musical ou Eric Bouvron remplaçant au pied levé des acteurs annoncés mais, comme on dit, empêchés.
Faut-il parler de l’histoire ou du présent de Komidi ? L’histoire est belle. Elle commence en 2008. Cette année, le cinéma le Royal, tenu par un vieux Chinois, ferme ses portes. Les professeurs de la ville et de la région se disent : le seul lieu culturel local va disparaître ! Alors ils le reprennent et y créent un festival de théâtre, Komidi, qui déborde vite en d’autres salles. Où choisir des spectacles et convaincre des artistes de venir dans un quart excentré de la Réunion, situé à deux heures de route de l’aéroport de Saint-Denis ? Dans le off d’Avignon ! Depuis l’année de la création, six représentants du festival s’y rendent en été, voient le plus de choses possible et démarchent auprès des équipes qui leur ont plu. Le staff de Komidi travaille d’abord pour les jeunes, collégiens et lycéens.
« Notre objectif est d’abord pédagogique, résume l’un des chefs de file, Philippe Guirado. Ensuite culturel. Au début, notre cible était l’élève de seconde. Notre surprise a été de voir que les réservations hors monde scolaire prenaient toutes les places restantes. La première année, nous avons eu 3000 spectateurs. Nous en avons maintenant 30 000. » Komidi est devenu une institution alors qu’aucun subventionnement ne vient de l’Etat, que le budget est dérisoire (300 000 euros) et que tout marche grâce à ces enseignants passionnés et à une centaine de bénévoles suractifs. (Nous avons eu la surprise de découvrir parmi les bénévoles l’excellent humoriste qu’est Vincent Roca – il habite la Réunion un tiers de l’année.) Que 13 000 scolaires aillent ici au théâtre au mois de mai, certaines autorités académiques trouvent cela à présent quasi routinier, alors qu’une tel partage artistique nécessite une philanthropie, une obstination et un engagement exceptionnels. Les organisateurs, eux, sont heureux et émus quand des jeunes et des adultes défavorisés donnent l’impression d’avoir été touchés par une grâce qui s’appelle le théâtre. Un seul défaut dans l’information sur un programme très copieux : l’absence du nom des auteurs des pièces sur les brochures remises au public (le metteur en scène efface l’auteur). Le rétablissement de cette mention essentielle s’impose.
Le national et le régional, le français et le créole
Les compagnies de la Réunion font naturellement partie du programme, sans que les responsables aient besoin d’aller les découvrir à Avignon. Il y en avait, cette année, 14 sur les 43 troupes à l’affiche, dont 4 donnant leur nouvelle création à Komidi. Ainsi, Léo et Léa par les Paraventeurs (Léa Szkaradek et Léo Gombaud, plus Nicolas Derieux pour la mise en scène) ont, à leur première réalisation, imposé un burlesque érotique hilarant. Mais la parole réunionnaise la plus haute est venue de Sergio Grondin s’interrogeant, dans son solo Maloya, mis en scène par David Gauchard, sur le langage, l’identité et la double culture : c’est le verbe d’un vrai poète, dénonçant l’étouffement du créole mais refusant les attitudes passéistes. Sergio Grondin, c’est, sur ces questions brûlantes des cultures minoritaires, une pensée, une écriture et une interprétation puissantes à mettre dans les balances de nos grands débats politico-culturels.
Parmi les artistes de la métropole, Pierre Notte a été lui aussi un parleur de haut vol. On connaît cet acteur-auteur important. Son nouveau texte, L’Effort d’être spectateur, pose une série de questions théoriques d’une façon ravageuse et sensible. On est à la fois dans le démontage des certitudes, l’attaque contre les glorieux endormis, la proclamation d’une exigence nouvelle et dans la confidence. A sa façon clownesque, soufflant le chaud et le brûlant, oubliant le froid, Notte rejoint les grands réflexifs de la scène comme Novarina ou Rambert. On a pu v aussi entendre un étrange esprit, Alain Guyard, qui, dans Philo foraine, propose de changer les règles sociales, en refusant pour aller vers plus d’harmonie, le libéralisme et le communisme, le droit de vote et l’individualisme. Lui s’enrobe de la tenue des tribuns farceurs en habit noir. Sa drôlerie est tout à fait troublante. Quant aux auteurs-interprètes de Heroe(s), Philippe Awatt, Victor Gauthier-Martin et Guillaume Barbot, ce sont des gens de théâtre transformés en enquêteurs sur les traces des lanceurs d’alertes et des rouages cachés de l’économie. Leur remarquable reportage se présente comme une enquête mise en scène. Détonnant !
Beaucoup de ces spectacles reviendront sur l’hexagone, comme le très savoureux Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? d’Eric Bu et d’Elodie Menant, à la fois fantaisie musicale et page d’histoire implacable. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Mais, puisqu’il s’agit de rendre compte de Komidi dans son actualité, saluons la manifestation comme une fête multiple et une aventure nourricière.

Komidi, Saint-Joseph, île de la Réunion, www.komidi.re : la 12e édition a eu lieu du 27 avril au 7 mai.

Photo DR : Sergio Grondin dans Maloya.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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