KAROL SZYMANOWSKI de Didier van Moere

Biographie en jeu de piste pour la résurrection d’un génie oublié

KAROL SZYMANOWSKI de Didier van Moere

Le 18 juin prochain l’Opéra de Paris mettra à l’affiche Krol Roger/Le Roi Roger œuvre majeure mais oubliée d’un compositeur lui aussi étrangement rangé dans les archives : Karol Szymanowski, un homme qui fut pourtant une figure dominante de la musique de son temps, ce premier tiers du 20ème siècle où tant de choses ont été inventées. On commence enfin à le redécouvrir, certes encore avec parcimonie mais à chaque fois dans le charme secret de la familiarité. Son temps est bien devenu le nôtre.

Musicologue, critique musical et enseignant, Didier van Moere qui travailla et vécut un temps en Pologne a voulu en savoir davantage sur ce grand homme aujourd’hui méconnu et en a tiré une biographie qui ne ressemble à aucune autre. Un vrai jeu de piste qui fait pénétrer le lecteur dans une véritable traque à l’homme et à son œuvre, un « pavé » de 695 pages imprimées serrées – Fayard son éditeur aurait pu en tirer deux ou même trois volumes – que l’on peut dévorer d’une – longue – traite ou selon une mosaïque d’humeurs et de curiosités.

Y aurait-il une énigme Szymanowski ? Un mystère qui expliquerait son passage de la lumière des honneurs à l’obscurité de l’oubli ? Sherlock van Moere, pourrait-on dire de ce biographe épris de précision, joue au détective, il ne lâche pas son homme d’une semelle, observe son évolution à la loupe, guette et étiquette ses rencontres, épluche son courrier, sonde son intimité : depuis sa naissance en 1882 à Tymoszowka en Pologne jusqu’à son dernier souffle à Lausanne en Suisse en 1937 où il meurt de cette tuberculose qui accompagna toute son existence.

Inscrit d’emblée dans un devoir de solitude

Van Moere ne romance pas, il constate d’une écriture serrée, précise, élégante. Et livre tous les éléments minutieusement récoltés de la vie de l’enfant doué aux poumons fragiles né dans une famille de hobereaux cultivés dont chaque membre pratiquait un art - peinture, poésie et particulièrement musique. En raison de sa santé, Karol Szymanowski ne pourra pas suivre une scolarité normale. Inscrit d’emblée en quelque sorte dans un devoir de solitude qui marquera son destin en dépit des voyages, des mondanités et de la renommée. Très tôt il est mis au piano et compose pour son instrument. Son œuvre sera foisonnante et multiple, explorant toutes les formes d’écriture, pour piano, pour violon, pour la voix, pour orchestre : préludes, mélodies, symphonies, concertos, romances, ballets, opéras... Rien ne lui est étranger, ni les musiques savantes, ni celles nées du terroir, il s’imprègne autant de Chopin, l’incontournable prédécesseur, que de Wagner, Strauss, Stravinsky, Berg, Scriabine, Ravel ou Debussy ou encore des chants des paysans de Zakopane et des effluves sonores venues d’Orient. Il découvre l’Italie, la magie du mariage de la mer et du soleil, il parcourt le monde, Varsovie, Berlin, Vienne, Paris, New York, Petrograd, Moscou, Nice et Davos…

Séducteur cachant ses manques sous une allure de dandy

Il joue, il est joué, fêté, il compose, il écrit des romans – Efebos -, des poèmes… Il emmagasine, parfois hagard, les convulsions qui secouent le monde, la guerre 14/18, la révolution d’octobre 1917 et ses conséquences : la ruine, l’errance, le manque permanent d’argent. Séduisant, séducteur, il cache ses manques et ses interrogations sous son allure de dandy. Des femmes aimantes, comme Hélène Casella, l’aideront de bout en bout, tout comme son indéfectible ami Arthur Rubinstein.

Van Moere ne laisse rien dans l’ombre, ni l’homosexualité de Karol Szymanowski, ses amours refoulées puis assumées, tous les personnages, toutes les personnes qui l’ont croisé sont nommées, datées, sa fratrie, ses solistes, ses chefs d’orchestre.. On se perd un peu dans tous les noms polonais qui ne sont pas tous célèbres.

Et, dans les intervalles de narration, l’auteur analyse les œuvres en musicologue averti et fin pédagogue : à le lire, entrant presque amoureusement dans la description des tempos, des accords, des arpèges, de leurs couleurs, de leurs chatoiements sonores, on entendrait presque les Chants d’Amour de Hafiz, la fameuse deuxième symphonie en si-bémol que dirigea Georges Fitelberg, Hagith, le premier opéra, les quatuors, les chants, les berceuses et le long accouchement de ce Roi Roger créé à Varsovie en 1926. En France il ne fut joué qu’en version de concert. La prochaine production de l’Opéra de Paris constituera donc sa toute première version scénique .

C’est dire si pour ceux et celles qui en feront la découverte en juin prochain, le livre de Didier van Moere se révélera le compagnon idéal.

Karol Szymanowski de Didier van Moere, 695 pages, éditions Fayard - 27 €

Date de première publication : le 19 Février 2009

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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