« La Fille du régiment » de Donizetti à l’Opéra Bastille
Julie Fuchs, vaillante vivandière
Dans le rôle-titre de « La Fille du régiment », opéra-comique de Donizetti, la pétulante Julie Fuchs est entourée d’une troupe de chanteurs hors-pair.
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- 28 octobre
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« Madame Julie Fuchs est souffrante… », annonçait un appariteur avant le lever de rideau, samedi 26 octobre, à l’Opéra Bastille. Soupir de déception dans la salle qui s’attendait à une alternative inévitable en pareil cas : soit devoir excuser des faiblesses dans le rôle, très exigeant malgré les apparences, de Marie, fille du XXIe régiment de l’armée napoléonienne, déchirée entre son devoir et son amour, rôle fétiche de cette soprano française parmi les meilleures du moment ; soit devoir se contenter d’une doublure plus ou moins aguerrie. Mais l’appariteur ajoutait : « Elle a tenu néanmoins à jouer le rôle de Marie. » Applaudissements de soulagement et de reconnaissance dans la salle.
Pour le tenir, elle l’a tenu ! accusant seulement quelques faiblesses de projection dans les airs très acrobatiques qui se succèdent dans cet opéra follement drôle et tendre à la fois. En revanche, aucune défaillance dans le jeu plein de vivacité de la soprano qui a le physique et la voix de Marie, au fil d’une intrigue entre le patriotisme le plus cocardier et sentimentalisme on ne peut plus kitsch. « Qu’est-ce que ce doit être quand elle est en forme !!!! », remarquait notre voisine, résumant l’impression laissée par la vaillante cantatrice, applaudie à tout rompre au baisser de rideau.
Sommet dans la carrière très prolifique de Donizetti, désormais installé à Paris, La Fille du régiment, créé en 1840 à l’Opéra-comique, présente une alternance de parlé-chanté et d’airs de bel canto virtuoses destinés à faire valoir l’inventivité du musicien et les prouesses des solistes. Le livret, en français, sans aucune conséquence ni vraisemblance, conte les aventures d’une enfant trouvée sur le champ de bataille, Marie, adoptée et adulée par tout un régiment, dont elle devient la vivandière. L’action est censée se passer dans les montagnes du Tyrol autrichien où armées française et autrichienne se mesurent sans trop y croire.
Madelon avant l’heure
Signée Laurent Pelly, cette co-production internationale à grand succès, créée en 2007 à Londres, passée par Paris à l’Opéra Garnier, en 2012, y revient aujourd’hui mais dans la salle moderne de l’Opéra Bastille. Fourmillant d’idées et de drôlerie, Pelly voit dans le personnage de Marie une sorte de Madelon avant l’heure, et en profite pour situer l’action pendant la guerre de 14-18 dans une mise en scène débordante de surprises et de gags. Les nouveaux dialogues d’Agathe Mélinand, avec force clins d’œil à l’actualité, et les décors de Chantal Thomas, rappellent l’univers de la bande dessinée, entre Sapeur Camember et Fifi Brindacier.
Si elle manque un peu de brillance, la direction d’Evelino Pidò, à la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Paris, respecte scrupuleusement les voix, ne les laissant jamais déborder par l’imposante masse orchestrale et chorale. Donnant la réplique à Julie Fuchs, le ténor américain Lawrence Brownlee, dans le rôle de son amoureux Tonio, rejeton du camp autrichien, fait oublier son physique par une voix à la hauteur des plus grands ténors. Particulièrement dans ses deux grands airs « Ah mes amis quel jour de fête… ! » où il aligne sans coup férir les six contre-ut posés comme autant de pièges par Donizetti ; et surtout l’irrésistible « Il me faudrait cesser de vivre… », où le chanteur distille le miel du sentiment amoureux.
Pour les seconds rôles, on voit avec plaisir revenir deux grandes dames des salles lyriques qui rivalisent d’élégance et de drôlerie dans le rôle d’aristocrates autrichiennes Ancien régime dépassées par la situation. D’une part, l’exquise mezzo Susan Graham en marquise de Berkenfield, la mère cachée de Marie qui l’a abandonnée bébé, et pétrie de remords se rachète in extremis. Et d’autre part, l’hilarante soprano britannique Felicity Lott en duchesse de Crakentorp, inflexible douairière tentant jusqu’au bout de réussir le mariage arrangé entre son neveu et la vivandière, laquelle parvient à échapper à ses griffes pour retrouver son cher Tonio. Tout est bien....
Photo : Elisa Haberer
Donizetti : La Fille du régiment à l’Opéra Bastille jusqu’au 26 novembre (https://www.operadeparis.fr).
Dramaturgie et adaptation des dialogues : Agathe Mélinand ; mise en scène et costumes : Laurent Pelly ; décors : Chantal Thomas ; lumières : Joël Adam ; chorégraphie Laura Scozzi.
Avec Julie Fuchs, Lawrence Brownlee, Lionel Lhote, Susan Graham, Florent Mbia, Felicity Lott, Cyril Lovighi, Mikhail Silantev. Chœurs (dir. Ching-Lien Wu) et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Evelino Pidò.