Nancy – Opéra National de Lorraine
Jules César en Egypte de Georg Friedrich Haendel
Baptême du feu pour un joyau baroque
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- 5 mars 2007
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- Opéra & Classique
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Haendel manquait au répertoire de l’Opéra National de Lorraine. Il vient d’y faire son entrée avec l’œuvre la plus jouée de sa quarantaine d’opéras : Jules César en Egypte/Giulio Cesare in Egitto a pris place dans le magnifique théâtre de la Place Stanislas à Nancy avec des bonheurs divers. Des voix toutes jeunes qui pourraient faire pâlir d’envie les plus grandes maisons d’opéras, un orchestre et une mise en scène qui cherchent leurs marques. Comme si, dans la fosse, tout comme sur la scène, les uns et les autres, pour un baptême du feu haendelien, étaient restés à cloche pied entre rajeunissement et tradition.
Des vocalises en spirales répétées comme autant d’échos
Ce joyau du baroque, cinquième opus lyrique du très prolifique Allemand de Londres, déborde il est vrai de chausse trappes et de difficultés. Intrigues, complots, trahisons et romance d’amour qui n’empruntent que le nom des héros à l’histoire vraie de la conquête d’Egypte par les Romains, en tissent les rebondissements ornementés de morceaux de bravoure musicaux : des arias en veux-tu en voilà, des vocalises en spirale, répétées comme autant d’échos faisant de chacun des principaux protagonistes un premier rôle.
Elodie Méchain parfaite en Cornélia digne et pathétique
Yannis Kokkos a su merveilleusement en diriger les interprètes, ajoutant à leurs qualités vocales la finesse et l’efficacité du jeu dramatique. Ainsi, l’alto québécoise Marie-Nicole Lemieux, lauréate du Concours Reine Elisabeth de Belgique qui lui ouvrit les portes d’une carrière désormais internationale, prit sur elle avec un aplomb et une autorité sans faille, toutes les facettes du personnage de Jules César, tel que le réinventa Haendel, homme de guerre certes mais surtout de clémence et de passion amoureuse. Une tessiture chaleureuse capable de descendre vers des graves de nuit noire et des vocalises grimpant au sommet sans vibrato. En Sextus, adolescent rebelle, Stéphanie d’Oustrac apporta une fougue à fleur de nerfs et un timbre clair comme un matin de printemps tandis qu’Elodie Méchain à la ligne de chant somptueuse fut parfaite en Cornélia digne et pathétique. Quelques petites réserves sur la Cléopâtre d’Ingrid Perruche, rousse flamboyante à la Gilda, aguicheuse et sensuelle mais au legato parfois en montagnes russes. De même le Ptolémée de Philippe Jaroussky, malgré son auréole toute fraîche du prix « révélation lyrique » des dernières Victoires de la Musique, n’était pas au mieux de sa forme, plus gamin fatigué que tyran sanguinaire.
Entre Hollywood sur Nil et Les Cigares du Pharaon
Les décors et costumes du même Yannis Kokkos, rompant avec son élégance naturelle, cette fois déroutent. Lui, l’homme des épures et des transparences, joue ici la charge et le mélange des genres, entre Hollywood sur Nil et les Cigares du Pharaon façon Tintin. L’Angleterre coloniale des années 20 du dernier siècle flirte avec les dieux, Horus, Anubis et autre Thot, et l’imagerie des bas reliefs est mise en ballets stylisés BD. Des escaliers de music hall glissent, s’emboîtent et s’illuminent. Cela pourrait être drôle mais apparaît en porte à faux avec le parti pris tragique de la direction d’acteurs et surtout la lenteur et la mollesse de la direction d’orchestre. Là où un René Jacobs injecte du swing, Kenneth Montgomery, mozartien reconnu, applique une pommade inodore. Il n’est manifestement pas à l’aise dans ce répertoire si bien que les musiciens de l’Orchestre symphonique et lyrique de Lorraine semblaient un peu largués, à l’exception des quatre continuos sur instruments anciens qui apportèrent les justes couleurs à cette musique à la fois impétueuse et aristocratique. Dont la découverte soutenue par une formidable distribution reste un atout majeur.
Jules César en Egypte de G. F. Haendel, livtet de N. F. Haym d’après G.F. Bussani. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy et de Lorraine, direction Kenneth Montgomery, mise en scène, décors et costumes Yannis Kokkos, lumières Patrice Trottier, chorégraphies Richild Springer. Avec Marie-Nicole Lemieux, Ingrid Perruche, Elodie Méchain, Stéphanie d’Oustrac, Philippe Jaroussky, Riccardo Novaro, Artur Stefanowicz, Xavier Szymczak –
Nancy – Opéra National de Lorraine, les 2, 6, 8, 10 mars à 19h – le 4 mars à 15h. – 03 83 85 33 11
(à Caen en 2008)