Le Requiem de Fauré à Notre-Dame le 14 janvier

Jolivet et Fauré rassemblés

Orchestre, solistes et chœurs de grande qualité sont les points forts de ce concert donné dans la cathédrale tout récemment rénovée. Mais la direction musicale du Requiem déçoit.

Jolivet et Fauré rassemblés

MÊME SI POUR L’AUDITEUR l’expérience est riche et fertile, il est parfois périlleux de placer côté-à-côte deux œuvres très différentes dans leur substance musicale, leur esthétique et leur atmosphère. Surtout à l’église et surtout lorsque les deux œuvres en question sont : l’une de nature explicitement liturgique (le Requiem de Fauré), et l’autre, malgré son titre, d’une spiritualité plus libre, ouverte sur des mondes sonores ancrés dans l’Orient, marquée qui plus est par une modernité qui est celle des années 1940 (la Suite liturgique d’André Jolivet). À Notre-Dame, le 14 janvier, l’œuvre de Jolivet a pu apparaître comme un univers musical mêlant, comme souvent chez ce compositeur, austérité et lyrisme, transcendance et polychromie harmonique et instrumentale, le tout dans une atmosphère raréfiée, incitant à une écoute très attentive – bref une œuvre exigeante.

Comme le précise l’excellent texte de présentation du concert (bizarrement non signé, ce qui est dommage !), André Jolivet est l’auteur de plusieurs musiques de scène pour la Comédie-Française – il deviendra d’ailleurs en 1945 directeur musical de ce théâtre –, fonction qui n’existe plus depuis des décennies... La musique, dans sa version première, a été composée pendant l’Occupation, pour accompagner une pièce d’Henri Ghéon, Le Mystère de la Visitation ; Jolivet en tirera un peu plus tard la Suite liturgique. Dans l’interprétation présentée à Notre-Dame, on a été fasciné par la profonde beauté et le caractère énigmatique de l’œuvre, en particulier l’alliage instrumental si original (harpe, cor anglais et violoncelle) imaginé par Jolivet et sa fusion avec la magnifique sonorité de la Maîtrise Notre-Dame de Paris. Portés par la direction tout en finesse et en subtilité d’Émilie Fleury (cheffe du Chœur d’enfants et du Jeune Ensemble de la Maîtrise Notre-Dame de Paris depuis 2007), les trois solistes (Valeria Kafelnikov à la harpe, David Walter au cor anglais et Jean-Marie Trotereau au violoncelle), que l’on retrouve tous trois en seconde partie du concert au cœur de l’Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes, se sont révélés de superbes passeurs de cette musique d’un mystère plutôt ténébreux, alliage de ferveur et d’anxiété. Quant à l’excellente Maîtrise Notre-Dame, dont on connaît depuis longtemps la rigueur et la beauté des timbres réunis, elle a en quelque sorte illuminé cette œuvre assez sombre.

Profondeur et légèreté

Avec le Requiem de Fauré, on entre évidemment dans le panthéon des chefs-d’œuvre rebattus : il est donné à l’Église de la Madeleine (où il a été créé en 1888) ou dans d’autres églises parisiennes presque aussi souvent – et ce n’est pas peu dire... – que son cousin le Requiem de Mozart. Et si l’auditoire est, a priori, acquis à l’œuvre comme à ses interprètes quels qu’ils soient, le défi reste cependant immense, en particulier pour le chef : retrouver à chaque fois le bon équilibre entre la profondeur du sentiment religieux et la légèreté aérienne d’une œuvre qui, même dans sa version symphonique de 1900 choisie pour le concert à Notre-Dame, n’est nullement un monument choral ou instrumental, mais véritablement une prière intérieure, dénuée de tout faste. Il s’agit en somme de dérouler ces quelque quarante minutes de musique en maintenant, tout au long des séquences qui le constituent, une sorte de sobriété concentrée... À ce point de vue, il m’a semblé que le directeur et chef de chœur principal de la Maîtrise Notre-Dame, Henri Chalet proposait une vision de l’œuvre par trop mouvante, insuffisamment tonique, en une conception du Requiem de Fauré quasi impressionniste, ce qui étonne. Sa gestique, d’ailleurs, presque trop souple, au détriment des arêtes rythmiques, suscitait peu à peu l’impression d’une absence d’ancrage dans le sol, ce qui est dommage. Fauré en un sens y perdait en force, malgré l’excellence de l’orchestre, des solistes (magnifique soprano d’Aurélien Ségara, chant très inspiré du baryton Jean-Christophe Lanièce) et de la Maîtrise Notre-Dame de Paris.

Illustration : Gabriel Fauré vers 1889 par John Singer Sargent (Musée de la musique/dr)

André Jolivet : Suite liturgique - Gabriel Fauré : Requiem (version 1900). Jean-Christophe Lanièce (baryton), Aurélien Segarra (soprano), Valeria Kafelnikov (harpe), David Walter (cor anglais), Jean-Marie Trotereau (violoncelle), Maîtrise Notre-Dame de Paris, Orchestre national Auvergne-Rhône-Alpes, dir. Émilie Fleury et Henri Chalet. Cathédrale Notre-Dame de Paris, 14 janvier 2025.

A propos de l'auteur
Hélène Pierrakos
Hélène Pierrakos

Journaliste et musicologue, Hélène Pierrakos a collaboré avec Le Monde de la Musique, Opéra International, L’Avant-Scène Opéra, Classica, etc. et produit des émissions sur France Musique, France Culture, la Radio Suisse Romande et, depuis 2007 :...

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