Opéra de Montpellier jusqu’au 2 décembre

JETZT de Mathis Nitsche et WHAT NEXT ? d’Elliot Carter

Montpellier en pointe

 JETZT de Mathis Nitsche et WHAT NEXT ? d'Elliot Carter

L’Opéra de Montpellier, toujours intéressé par la musique contemporaine, vient de présenter What Next ?, œuvre majeure d’Elliot Carter le compositeur américain trop méconnu en France qui s’est éteint le 5 novembre dernier dans sa 104ème année à New York où il était né en 1908. Le programme de la soirée commençait par la création mondiale de Jetzt, opéra de Mathis Nitschke, né en 1973, commandé pour l’occasion par l’Opéra Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon.

Un livret savant au service d’une histoire ambitieuse sur une musique quelque peu racoleuse.

« Echapper à l’emprisonnement épistémologique et trouver refuge dans un collectif élargi » (Der epistemologischen Beugehaft entkommen und Zuflucht im erweiterten Kollektiv finden ) : le moins que l’on puisse dire est que le livret qui contient cette phrase ne s’adresse pas à tous les publics. Jonas Lüscher, philosophe de son état, librettiste de Jetzt, explique que l’œuvre voudrait jalonner en sept étapes les perceptions successives de l’univers par l’homme, et que, puisque ce regard a évolué en même temps que le langage, c’est par les innovations linguistiques que l’on pourra suivre à la trace les changements de perception de notre entourage à travers le temps : Parménides, Feyerabend, Galilée, Schegel, Bruno Latour et d’autres encore se donnant ainsi rendez-vous tout au long du livret de l’écrivain d’expression allemande.

Le chant vécu par le compositeur comme un « problème »

Mathis Nitsche installe Jetzt dans un monde sonore où la voix n’est que secondaire, ou même constitue « un problème », en partie à cause de sa portée très limitée. Le compositeur résout la question grâce au couple micro-haut parleur aujourd’hui très perfectionné, capable, selon lui, d’épouser et de reproduire à la perfection toute la gamme de fréquences émises par une voix humaine. Ennemi déclaré par ailleurs du « trop propre » -car « trop bourgeois »- le compositeur a disposé en embuscade trois musiciens hors du contrôle du chef d’orchestre –bandonéon, violoncelle et contrebasse électroniques, rien de moins- avec la mission de venir perturber « ad libitum » la pureté originelle des lignes mélodiques –et il y en a- de la partition. Matis Nitsche propose au total une musique faite d’ostinato et décibels, plutôt descriptive, qui encadre le parcours de l’humanité imaginé par Jonas Lüscher. La solennité, la grandeur et le lyrisme développés par les parties chorales contrastent fortement avec les moments intimistes portés par les solistes, personnages anonymes uniquement différenciés par leurs tessitures –soprano, contralto...- dans la distribution des rôles.

What next ? un bijou inconnu en France

What next ? représenté en France pour la première fois, offre des caractéristiques bien différentes. L’opéra fut écrit par Elliot Carter à la demande de Daniel Baremboïm qui en fit la création à Berlin le 16 septembre 1999. Le compositeur était alors déjà centenaire. En individualiste frénétique Elliot Carter, à la marge de tous les mouvements et les modes qui ont traversé le XXème siècle, n’a jamais nié cependant son intérêt pour Edgar Varese ou pour Claude Debussy ou encore pour les artistes de l’Ecole de Vienne, bien que ni les uns ni les autres ne soient jamais présents dans sa production. Sa longévité active lui a permis une production massive et variée dont What next ?. Le titre de l’œuvre est parlant : « Qu’est-ce qui nous attend après ce que nous avons déjà vécu ? ». Six personnages se trouvent totalement déconcertés sur la route après avoir été victimes d’un accident de voiture. Il n’y a pas eu de morts ni de blessés et cependant le dialogue entre eux a été soudainement coupé. C’est à peine s’ils se souviennent d’où ils venaient et où ils allaient.

Le symbole ne peut être plus clair, son illustration musicale, austère et très riche à la fois, consiste en une succession ininterrompue de thèmes musicaux, sans la moindre ombre d’une répétition, qui illustrent des échanges ponctuels, aléatoires entre les personnages du livret de Paul Griffiths pendant presque une heure.

Les dialogues sont brefs et rarissimes. L’imagination féconde du compositeur et sa science de l’orchestration, ont fait de cette pièce un vrai bijou de l’art lyrique contemporain, mais en même temps rendent difficile et même fatiguant pour le spectateur le suivi de la situation vécue par cette famille sur une route non identifiée.

Un pari réussi par l’Opéra de Montpellier.

Un grand bravo à l’équipe tout entière pour cette performance. Carl Christian Bettendorf dans la fosse a dirigé l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon avec autorité, tant dans l’univers obsessif, -mais aussi ouvert et grandiose par moments- de Jetzt, que dans l’enfermement en plein air, métaphysique, des six personnages de What next ?. C’est sans doute grâce à la grande maîtrise de la partition de la part des musiciens et des chanteurs -les mêmes dans les deux opéras- ainsi qu’au travail de préparation sans doute ardu mais très efficace des chœurs dirigés par Noëlle Gény, que l’on a pu constater une étonnante facilité de réalisation tant sur le plateau que dans la fosse.

Si le public fin connaisseur de la musique contemporaine a quelque peu chahuté la mise en scène de What next ?, sincèrement conquis, il a applaudi longuement et spontanément les œuvres présentées et l’ensemble des artistes participants.

Jetzt. Opéra en un acte de Mathis Nitschke. Livret de Jonas Lüscher.

What next ? Opéra en un acte de Elliot Carter. Livret de Paul Griffiths

Mises en scène d’Urs Schönebaum. Direction musicale de Carl Christian Bettendorf. Chanteurs : Susan Narucki, Sarah Wolfson, Martina Koppelstetter, Gilles Ragon, Marco Di Sapia.

Production de l’Opéra Orchestre national Montpellier.
Montpellier Le Corum les 30 novembre et 2 décembre 2012.

Tél. 04 67 60 19 99

http://www.opera-orchestre-montpellier.fr

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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