FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE 2022 (3)

Idoménée à l’heure d’Hiroshima.

FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE 2022 (3)

Mozart transplanté au Japon après la défaite de 1945 ? Le dépaysement est total au Théâtre de l’archevêché d’Aix où est donné Idomeneo, re di Creta. Total et même incongru pour ce premier chef d’œuvre de Mozart, créé en 1781 pendant le carnaval de Munich, en italien, qui renouvelle le genre un peu essoufflé de l’opera seria, avec un spectacle empreint de merveilleux comportant force machineries, ballet, deux ex machina, happy-end et feu d’artifice d’airs virtuoses où les solistes (dont un castra dans le rôle-titre) peuvent exhiber leur talent.

Spécialiste du Butô (qui mêle narration et danse), le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, qui a présenté récemment deux spectacles au Festival d’Avignon, aborde pour la première fois l’opéra et imprimant une marque très (trop) personnelle sur cette œuvre. Au point qu’on passe plus de temps à tenter de déchiffrer le sens de la mise en scène et des multiples symboles qui apparaissent dans la scénographie et les costumes (sompteux) qu’à goûter la musique et les voix. Lesquelles s’apprécient, elles, sans filtre.

Prenant très (trop) au sérieux le livret de l’opéra, issu d’un mythe antique, le metteur en scène développe tout un discours sur le pouvoir et fait un parallèle entre le roi grec Idoménée, vainqueur des Troyens, qui refuse de sacrifier son fils conformément au serment fait à Poseidon, et l’empereur Hirohito qui ne s’est pas sacrifié comme l’attendait son peuple et a même signé un pacte avec les Américains pour sauver sa peau et sa dynastie. Dans les deux cas, dit le metteur en scène, c’est le peuple qui a payé cette pusillanimité, dans le premier par la violente tempête déclenchée par Poseidon, qui ravage la contrée, dans le second par les bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki.

Il découle de cette vision que le peuple, représenté ici par le chœur, est le personnage principal et le moteur de l’opéra. L’excellent chœur Pygmalion, auquel se mêlent six danseuses et danseurs professionnels, devient donc un bataillon de soldats japonais en uniformes de la Deuxième Guerre mondiale, prisonniers de sortes de grandes cages tout en hauteur enserrées dans une résille, qui exécutent une valse lente sur la scène. Au sommet de ces tours se hissent les personnages principaux, tous de sang royal, qui peuplent l’intrigue, dominant la scène de toute leur hauteur.

Tour d’ivoire

Apparaissent ainsi figés dans des poses de sculpture, le roi Idoménée et son fils Idamante, confit dans l’amour réciproque pour la princesse Ilia, Troyenne réfugiée en Crète, et enfin Électre rivale malheureuse d’Ilia. Chacun, sauf la dernière, reste dans sa tour (que l’on dit en français d’ivoire), ce qui entraîne que, par exemple, les deux amoureux Ilia et Idamante dans leur (sublime) duo se trouvent à une distance infranchissable l’une de l’autre.

On l’a compris, cette scénographie n’est pas le meilleur moyen de rendre justice à l’étincelante musique mozartienne. Le jeune et brillantissime chef Raphaël Pichon, à la tête de son ensemble Pygmalion, très fourni pour la circonstance, fait tout pour maintenir la tension ; il a choisi pour cela la version de l’œuvre, plus dense, établie par Mozart à Vienne quelques années après la création. Le chef veille aussi à rendre les récitatifs plus vivants avec une alternance de paroles chantées/arias qui semble moins moins mécanique qu’à l’accoutumée.

Manifestement crispée par les indications de mise en scène, l’équipe de chanteurs, pourtant de haut vol, ne donne pas le meilleur d’elle-même. À commencer par celui qui se définit comme « baryténor » (à cheval entre les deux tessitures), l’américain Michael Spyres en Idoménée. De même pour Sabine Devieilhe dans le rôle d’Ilia, que l’on a connue plus en voix, et la mezzo italienne Anna Bonitatibus qui campe un Idamante languissant. Mais la révélation de la soirée vient de la soprano Nicole Chevalier qui remplace au pied levé la cantatrice programmée et s’investit à fond dans une Électre bouillonnante de fureur.

Photo : Idomeneo, re di Creta, Festival d’Aix-en-Provence 2022 © Jean-Louis Fernandez

Idomeneo, re di Creta de Mozart. Théâtre de l’archevêché, les 8, 11, 13, 15, 19, 22 à 21h30, www.festival-aix.fr
Direction musicale : Raphaël Pichon. Mise en scène : Satoshi Miyagi. Décors : Junpei Kiz. Costumes : Kayo Takahashi Deschene. Lumières : Yukiko Yoshimoto. Chorégraphie : Akiko Kitamura. Idomeneo : Michael Spyres ; Idamante : Anna Bonitatibus ; Ilia : Sabine Devieilhe, Elettra : Nicole Chevalier ; Arbace : Linard Vrielink ; Grand Sacerdote : Krešimir Špicer ; la Voix de Neptune : Alexandros Stavrakakis. Chœur et Orchestre Pygmalion.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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