Everywoman de Milo Rau

S’habituer à l’idée de la mort et de sa propre mort

Everywoman de Milo Rau

Inutile de prétendre intégrer la mort à la vie et se conduire de manière rationnelle en face d’une chose qui ne l’est pas : que chacun se débrouille à sa guise dans la confusion de ses sentiments.
(Simone de Beauvoir, Une mort très douce.) Reste le sentiment blafard d’une solitude extrême.

La mort n’aurait pas de rapport avec la vie physique ou intellectuelle - un constat faux - puisqu’elle la domine, qu’elle la termine sans être sa finalité, sinon dans la fiction intéressée de la mort individuelle exigée par la société pour sa survie, fiction faisant de la mort un but, mourir pour une idée.… - sacrifice qui fait les héros et les demi-dieux dans le fantasme de la victoire sur la mort.

L’angoisse de mort est inspirée par le caractère injustifiable, irrationnel, de l’anéantissement. La vie même est imprégnée de mort omniprésente - l’une ne va pas sans l’autre. La vie vécue comme la réalisation d’un destin ne peut être vécue dans le refus de ce qui l’accompagne toujours. Le rapport à la vie humaine est plutôt fait d’une inquiétude permanente qui ne laisse jamais en repos.

Everywoman de Milo Rau met en scène une pièce intimiste autour de la mort. L’actrice Ursina Lardi y dialogue par le biais d’une vidéo avec une femme atteinte d’une maladie grave. La fin proche alimente une réflexion sur l’existence, où le partage apparaît un apaisement à l’inéluctable.

En 2020, au cœur de la pandémie de Covid-19, la patiente écrit à l’actrice : elle va mourir prochainement, et se désole de ne plus pouvoir aller au théâtre, elle qui aurait tant aimé monter sur scène. Aussi, un peu plus tard, Ursina Lardi et Milo Rau se rendent-ils chez Helga Bedau à Berlin et tournent alors une vidéo.

Comme une réponse à son dernier souhait, l’ex-institutrice apparaît sur le plateau du théâtre, où Ursina Lardi dialogue avec elle via l’enregistrement vidéo et audio. Dans leur discussion, la mort.
L’ approche philosophique prend appui sur l’expérience de chacune pour penser notre finitude.
Suite à une proposition du Festival de Salzbourg de mettre en scène Jedermann de Hugo von Hofmannsthal, selon la tradition de ce festival qui rejoue et revisite cette pièce fondatrice, Milo Rau a conçu son spectacle sur la mort comme une pièce à l’inverse non chorale mais intimiste.

En écho inversé à Jedermann - Tout homme, Everyman -, pièce allégorique sur la mort d’un homme riche, Everywoman interroge ce qu’est la vie - rituel du théâtre et pratique collective.
Dialogue de la comédienne Ursina Lardi avec Helga Bedau et avec le public, en toute confidence.

Qu’est-ce que la vie et la mort ? Dans Jedermann, la mère du personnage du titre éponyme - l’homme qui doit mourir-, lui dit : « Je suis là, je te regarde. »

La mort n’est alors plus solitaire mais solidaire, elle en devient plus acceptable - amour, solidarité, attention soutenue et vraie présence, qualités qui font de l’existence une vie pleine, échappant à toutes les petites morts de la solitude.

A l’orée du propos, Ursina Lardi évoque un souvenir d’enfance à l’hippodrome, lieu de prédilection familial dans les Alpes suisses, versée dans l’art équestre et la proximité avec le cheval. La fillette assiste à une course de galop, subjuguée, comme le public, par la beauté corporelle et physique des chevaux rivalisant de vitesse jusqu’à ce que l’un d’eux, ne se détache de l’ensemble sportif et ne chute, la patte irréversiblement cassée.

L’animal se relève puis retombe, ceci plusieurs fois, avant d’abandonner tout combat pour la vie. La petite fille perçoit alors dans le regard du cheval comme l’histoire du monde qui s’achèverait, loin derrière et au-delà de lui, pressentant que l’existence inouïe, lui est dès lors ôtée à jamais.

Helga évoque son fils parti vivre en Grèce : elle aimerait reposer non loin de lui, à moins que, depuis « sa » ville de Berlin qu’elle a rejointe dans sa jeunesse pour découvrir la vie « moderne », urbaine, joyeuse et vivante, elle ne revienne dans sa ville natale de Lünen où repose sa mère.
On aura vu à l’écran Helga s’assoupir, sous le coup d’un traitement qui l’épuise : le moment même où Usina aura parlé d’elle au public : la mort ne serait que ce à quoi il faut apprendre à s’habituer.

Everywoman de Milo Rau, textes de Milo Rau et Ursina Lardi, avec Ursina Lardi, Helga Bedau (vidéo). Décors et costumes, Anton Lukas, vidéo Moritz von Dungern, son Jens Baudisch, dramaturgie Carmen Hombostel, Christian Tschirner, lumières Erich Schneider. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, du 20 au 28 octobre au Théâtre de la Ville - Les Abbesses. Crédit photo : Armin Slamovic

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Véronique Hotte

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