Festival d’Avignon In

En terres étrangères

En terres étrangères

La 63ème édition du Festival d’Avignon fait la part belle à la création étrangère, du côté des textes et des mises en scène mais aussi du côté de la danse et de la musique. En voici une sélection avec le cinéaste Israélien Amos Gitaï (ci-contre, Eric Elmosnino et Jeanne Moreau), l’écrivain portugais Fernando Pessoa, le basque espagnol Oskar Gómez Mata, le Polonais Krzysztof Warlikowski et le chorégraphe et danseur espagnol Israel Galvan.

La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres par Amos Gitaï

En ouverture de la 63ème édition du Festival d’Avignon, le cinéaste israélien Amos Gitaï présente une adaptation scénique de La Guerre de Juifs - récit en sept livres (75 -79 après J.C.) - de Flavius Josèphe. Une évocation de l’écrasement de l’état hébreu par les armées romaines de Vespasien et Titus, avec la prise de Jérusalem (70), le suicide collectif des réfugiés de la citadelle de Massada au bord de la mer Morte (73) et la condamnation à l’exil du peuple juif. L’auteur, chef militaire dans les troupes juives, fut capturé par les Romains. Rallié à l’Empire, il devint un historiographe apprécié de Rome, sans occulter pour autant les douleurs, les sacrifices et l’héroïsme vécus par son peuple. En s’appuyant ainsi sur ses observations de deux camps, sa réflexion relève d’une chronique précieuse et unique sur cette période historique. Après une première tentative en 1993, Gitaï revient sur ce texte adapté et divisé en sept tableaux, avec la volonté évidente de faire partager sa résonance dans le monde d’aujourd’hui malgré ses zones d’ombres. Articulé autour d’une forme d’oratorio multilingue dans le site naturel de la Carrière de Boulbon, le spectacle imaginé par le réalisateur de Kippour et Kadosh manque de texture dramaturgique et de souffle. Entourée d’échafaudages tubulaires – servant parfois d’espace de jeu – Jeanne Moreau (interprète – lectrice à la table, de Flavius Josèphe) malgré sa voix prenante et les excellents comédiens qui l’entourent : Eric Elmosino, Jérôme Koenig, Mireille Perrier, Gérard Benhamou ... ne suffisent pas à donner vie à cette représentation. Petits plaisirs complémentaires pourtant, avec le percussionniste inspiré Shahar Even Tzur, le magnifique chant yiddish de Menachem Lang et les ombres et les lumières de Jean Kalman.

La Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres d’après La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe, adaptation et mise en scène Amos Gitai, avec Jeanne Moreau, Jerome Koenig,Gérard Benhamou, Éric Elmosino, Shredy Jabarin, Mireille Perrier, Menachem Lang (chant), lumière Jean Kalman, costumes Moïra Douguet . Durée : 2 h25. En tournée en juillet – août à Barcelone, Athènes et Epidaure, Istanbul et du 6 au 10 janvier 2010 à Paris Odéon-Théâtre de l’Europe.

Ode maritime de Fernando Pessoa par Claude Régy

L’horizon tient dans le creux d’une vague dressée dont la tonalité grise recevra de fines variations de lumières colorées. A l’avant, un ponton d’embarquement pour une navigation au cœur du vibrant poème de l’auteur portugais Fernando Pessoa (1888 – 1935). Cet environnement spatial (Sallahdyn Khatir) introduit une relation sensorielle et un écho sans parasites aux paroles proférées par Jean-Quentin Châtelain. Navigateur solitaire immobile resté à quai, il distille et module de sa voix charnelle et singulière les vers du poète. Une invitation à “ Prendre le large au gré du danger, au gré de la mer ” pour regarder avec lui “ vers l’Indéfini ”, dont le comédien porte et accompagne la progression dans un cheminement qui mêle le passé au présent, la violence des pirates à celle du XXe siècle et conduit les récits sanguinaires au bord de la folie dans l’ombre de la mort. “ Passeur ” de mots, le comédien transmet à travers sa fascinante partition vocale, - faites de modulations, de silences et de cris - les accents, la solitude, les rêves et les désirs, la nostalgie et les tensions intérieures de Pessoa, qui portent au vertige et touchent à l’intime. Au spectateur de se laisser pénétrer par cette traversée hors du temps que l’on porte en soi longtemps après l’avoir quittée. L’intensité de cette fascinante rencontre n’aurait sans nul doute pas été possible sans la mise en scène de Claude Régy, infatigable et exigeant explorateur d’écritures, dont la radicalité trouve ici un magnifique aboutissement dans son souhait de repousser les frontières du théâtre. Incontestablement un temps fort de ce Festival 2009.

Ode maritime de Fernando Pessoa, mise en scène Claude Régy, texte français de Parcidio Gonçalves, avec Jean –Quentin Châtelain, scénographie Sallahdyn Khatir, lumière Rémi Godfroy, Sallahdyn Khatir, Claude Régy, son Philippe Cachia. Durée : 2 heures.

Tournée à partir de janvier 2010 : Théâtre national de Strasbourg (19.01 au 4.02), CDDB- Théâtre de Lorient (du 9 au 11.02), Théâtre de la Ville - Paris (du 8 au 20.03), Théâtre national de Toulouse (du 25.03 au 1.04), Théâtre des Treize - Vents – Montpellier (du 6 au 9.04), La Rose des Vents – Lille Métropole /Villeneuve d’Ascq (du 20 au 23.4), Granit – Belfort ( du 27 au 29.04), MC2 Grenoble ( du 4 au 7.05), Comédie de Reims (du 19 au 21 mai).

Kaïros, sisyphes et zombies par Oskar Gómez Mata

Basque espagnol installé à Genève, comédien, metteur en scène et animateur de la Compagnie L’Alakran, Oskar Gómez Mata entreprend avec cette nouvelle création de secouer notre apathie politique - qui fait de nous des zombies - pour engager les voies du renouveau. Placée sous l’ombre de Kaïros, éphèbe grec aux pieds ailés, qui représente le concept du “ moment opportun ” (sic) la représentation débute par un court métrage plutôt amusant, suivi de l’entrée en scène d’une mère en perruque et d’un portrait de Charles Dullin, qui, a une époque, aurait influencé le metteur en scène. Suit une succession de séquences complaisantes issues de pochades où la provocation demeure au ras des pâquerettes (du Canton de Vaud) – danseurs sautillants n’ayant gardé que “le haut”, fausse urine produite et absorbée par une comédienne, machine à envoyer des balles de tennis, etc… Par ailleurs, on évoque Benoît XVI et Dominique Strauss-Khan – certainement à cause du secret bancaire suisse remis en cause par le FMI -, ou encore on apprend “ qu’argent = excrément” !!! Seule la satire du financement des productions culturelles et de sa redistribution fait naturellement sourire. Dans la dernière partie du spectacle, le public est invité à sortir de la salle pour se livrer dans l’isolement à son introspection à travers un questionnaire qui lui a été remis. Plus démago, tu meurs. A la fin de la représentation la véritable question existentielle est posée : Que faisons – nous ici ? A ce stade, une grande partie du public s’était déjà interrogé sur les nécessités de sa présence. Bon, ça ne vole pas haut, mais comme on dit en Suisse “y a pas de quoi mettre le feu au lac”.

Kaïros, sisyphes et zombies, conception et mise en scène Oskar Gómez Mata, textes Peru C. Saban, Oskar Gómez Mata, avec Oskar Gómez Mata, Michèle Gurtner, Espéranza López, Olga Unrubia, Valerio Scamuffa, et Mathieu Berclaz, Maria Danalet. Scénographie, vidéo, photographie, Chine Curchog, Régis Golay, Oskar Gómez Mata, lumière, Michel Faure, costumes, Isa Boucharlat. Durée : 1 heure 50. Reprise au Far- festival des Arts de Nyons (17 et 18.08.2009), puis aux Journées du Théâtre contemporains, Théâtre Grütli de Genève et Théâtre de l’Arsenic à Lausanne (27 et 28.11) et au Festival Escena Contemporánea de Madrid (janvier 2010).

(A)pollonia par Krzysztof Warlikowski

Au cours de récents entretiens (*) le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, bien connu du public avignonnais depuis 2001 (Hamlet, Purifiés, Kroum, Angels in America), déclarait “ La prise de conscience de la vie et de l’anéantissement des juifs en Pologne, c’est pour moi le chaînon manquant de l’identité actuelle d’un Polonais ”. Si le lien avec ce chaînon apparaît bien dans sa dernière création, il contribue à interroger plus largement l’universalité de la condition humaine dans une humanité traversée de monstruosités, d’horreurs et de doutes insondables. Autour de l’histoire vraie de la famille d’Apolonia Machczynska - Swiatek, femme polonaise tuée pour avoir caché des juifs durant la Shoa, Warlikowski établit des passerelles entre l’Holocauste et la tragédie antique. Pour se faire, il croise les fragments d’œuvres d’Euripide et d’Eschyle avec des textes d’Andersen, John Maxwell Coetze, Hanna Krall ou Jonathan Littell et convoque sur le plateau – outre les personnages contemporains – Iphigénie, Clytemnestre, Agamemnon, Alceste, ou encore Apollon, Héraclès et Admète. Découpée en deux parties, la représentation se compose d’une douzaine de séquences – après un prologue émouvant situé dans le ghetto de Varsovie en 1942 – dont les enchaînements, les prolongements ou les frottements, ouvrent sur une réflexion dont les argumentaires peuvent ouvrir débats, jusque dans la notion de sacrifice largement évoquée. Mais si le foisonnement du spectacle et les références parfois elliptiques peuvent dérouter, Warlikowski appuie là où ça fait mal et fait preuve de sa fascinante maîtrise scénique. Dans le vaste décor de Malgorzata Szczesniak, dont des éléments permettent des cadrages, la profusion d’images projetées ou captées fait choc mais permet de plonger au cœur de l’intime, en accompagnement de l’interprétation intense des quatorze comédiens et avec les chants de Renate Jett.

* Théâtre écorché Krzysztof Warlikowski, Actes Sud

(A)pollonia d’après des textes d’Eschyle, Hans Christian Andersen, Andrzej Czajkowski, John Maxwell Coetzee, Euripide, Hanna Krall, Jonathan Little, Marcin Swietlicki, Rabindranath Tagore. Mise en scène Krzysztof Warlikowski, dramaturgie Piotr Gruszczynski, avec Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska, Wojciech Kalarus, Marek Kalita, Zygmunt Malanowicz, Adam Nawojczyk, Monica Niemczyk, Jacek Poniedzialek, Magdalena Poplawska,Anna Radwan-Gancarczyk, Danuta Stenka, Maciej Stuhr, Tomaz Tyndyk et Renate Jett (chansons et voix), scénographie et costumes Malgorzata Szczesniak, lumière Felice Ross.
Durée : 4 heures 30. Théâtre de la Place – Liège (du 29 au 31.10.2009 ) Théâtre national de Chaillot – Paris ( du 6 au 12.11) Théâtre Royal de la Monnaie – Bruxelles (du 4 au 6.12), Théâtre Stary – Cracovie (14 et 15.12), Comédie de Genève (du 12 au 15.01.2010).

El final de este estado de cosas, redux (*). (La fin de cet état de choses, redux) par Israel Galvan

Avec cette création inspirée de L’Apocalypse de Jean, le chorégraphe et danseur sévillan Israel Galván a embrasé la Carrière de Boulbon devant des spectateurs ébahis et enthousiastes. Introduit par une procession des interprètes vêtus en pénitents, un premier solo de danse exécuté sur le sable blanc disposé à l’avant du plateau évoque l’exil de l’Evangéliste à Patmos. S’enchaînent ensuite des chapitres-séquences retenus par le chorégraphe, porteurs d’éléments historiques ou prophétiques, annonciateurs de violences et de maux que Galván rapproche brièvement de la guerre du Liban en 2006, à travers la vidéo d’une danse exécutée à Beyrouth à cette époque par l’une de ses anciennes élèves, Yalda Younes. Accompagné de douze musiciens et chanteurs – magnifiques – répartis en trois groupes (flamenco - saetas, rock, jazz), le danseur multiplie l’inventivité d’une chorégraphie qui bouleverse et nourrit les codes traditionnels du flamenco, porté ici aux lisières du tango ou du butô japonais. De transformations en mutations, le corps palpite, les membres se tordent ou se tendent, inscrivant dans l’espace un langage signifiant rythmé par les variations orchestrées des claquements de talons. Avec quelques trouvailles scéniques et la complicité du metteur en scène Txiki Berraondo, Israel Galvan – nourrit par la Bible depuis l’enfance – offre ainsi une lecture personnelle de l’Apocalypse rendue passionnante par ses qualités de danseur et la force dramaturgique d’une représentation partagée entre rituel païen et danse de mort. Un spectacle hors du commun.
* “redux ” en référence à la version longue du film de Francis Ford Coppola, Apocalypse Now, redux.

El final de este estado de cosas, redux, chorégraphie Israel Galván, mise en scène Txiki Berraondo, avec Israel Galván (danse), Inès Bacán, Juan José Amador (chant), José Carrasco (percussions), Bobote (danse, palmas, compás), Eloisa Cantón (violon) et les musiciens de Orthodox et de Proyecto Lorca. Durée : 1heure 50. En tournée : Théâtre du Volcan – Le Havre (3.12), Théâtre de Nîmes (17.01.2010), Arsenal de Metz (8.04), Monaco Danse Forum (11.04), Comédie de Clermont-Ferrand (27 et 28. 04), Maison des Arts de Créteil (29.05) Théâtre de la Ville –Paris (du 31.05 au 5.06), La Maison de la Danse – Lyon (du 17 au 20.11.2010)

© Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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