En attendant Godot de Samuel Beckett

Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

En attendant Godot de Samuel Beckett

Voilà quelque 70 ans que l’on glose sur l’identité de Godot. Ecrite en 1948, la pièce a été incomprise à la création en 1952, et n’a pas trouvé tout de suite son public. Depuis, on s’est heureusement avisé du génie de Beckett qui n’aimait pas que l’on qualifie son théâtre d’absurde ; de nombreux metteurs en scène se sont confrontés au mystère de cette pièce qui fait l’objet d’interprétations diverses. Beckett disait qu’il ignorait qui était Godot et que, en quelque sorte, ce n’était pas le sujet.
Vladimir et Estragon, deux clochards sublimes, attendent que quelque chose, quelqu’un arrive qui peut-être donnerait un sens à leur existence qui s’écoule dans un vide sidéral. Une pellicule grise recouvre le sol et les costumes des personnages, des survivants sur les cendres de l’humanité au lendemain de la guerre ; en fond de scène une fresque abstraite, sombre et orageuse, fermée, funèbre.
Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? répète Estragon à intervalles réguliers. Que faire maintenant que toutes croyances en l’homme est anéantie, que faire d’une civilisation en lambeaux. Des images violentes s’invitent dans le fil des dialogues, comme des réminiscences têtues : charniers, cris dans le silence, voix mortes, femmes qui « accouchent à cheval sur une tombe ».
Estragon s’applique à trouver un sens en jouant à être : « c’est ça engueulons-nous, et maintenant raccommodons-nous » ; « c’est ça faisons la conversation ». Hanté par le suicide, il veut se pendre, sourd aux efforts de Vladimir pour lui remonter le moral. Ils sont deux, comme liés par une belle fraternité qui, comme un élastique, les rapproche quand ils s’éloignent trop, ils sont deux, mais seuls. Les répliques rebondissent de l’un à l’autre jusqu’à ce que le silence de l’attente retombe. Parler pour tuer le temps en attendant ; l’attente est un état consubstantiel à la vie.
André Marcon est un Estragon massif, terrien, inquiet, perdu, désespéré tandis que Gilles Privat fait de Vladimir l’optimiste, un personnage faussement lunaire, enfantin, aérien, un mélange entre Buster Keaton et Monsieur Hulot. A l’inverse, le couple Pozzo/Lucky, figure les rapports déshumanisés de domination du maître sur l’esclave. Ils surgissent de nulle part, Pozzo (Guillaume Lévêque) en costume chamarré, le verbe haut, tient en laisse au bout d’une corde un pauvre hère transparent qui ne tient pas sur ses jambes, le malchanceux Lucky (Eric Berger) qu’il traite comme un dompteur ses fauves, marque d’un pouvoir dérisoire, mais il ne l’emportera pas au Paradis.
La mise en scène d’Alain Françon, servie par des comédiens formidables admirablement dirigés, tourne le dos à tout interprétation, psychologisante, métaphysique ou politique, pour s’attacher scrupuleusement au texte, à traduire ses ambiguïtés, ses mystères, à exprimer le tragique et la dérision de la situation universelle que Beckett instaure, écrivain obsédé par la recherche de nouvelles pistes d’écriture.

En attendant Godot de Samuel Beckett. Mise en scène, Alain Françon. Dramaturgie Nicolas Doutey. Décor Jacques Gabel. Lumières Joël Hourbeigt ? Costumes Marie La Rocca. Chorégraphie Caroline Marcadé. Avec André Marcon, Gilles Privat, Guillaume Lévêque, Eric Berger, Antoine Heuillet. A Paris, La Scala jusqu’au 8 avril 2023.
https://lascala-paris.fr
Texte publié aux Editions de MInuit.
© Jean-Louis Fernandez

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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