Paris – Opéra Comique jusqu’au 9 février 2012

Egisto de Francesco Cavalli

Des bougies qui n’éclairent plus

Egisto de Francesco Cavalli

L’association Vincent Dumestre, chef d’orchestre - Benjamin Lazar, metteur en scène avait fourni de si belles émotions qu’on attendait avec gourmandise leur nouvelle création commune : cet Egisto de Francesco Cavalli que l’Opéra Comique devait nous faire découvrir.

Ni la magie de leur Bourgeois Gentilhomme de Molière et Lully (voir WT du 16-mars 2006), ni celle de leur Cadmus et Hermione du même Lully (WT des 25 janvier 2008 & 29 novembre 2010) ne furent retrouvés dans cet Egisto figé dans la pénombre vacillante de ses bougies et dans la gestique récursive de ses poses. Le bonheur cette fois s’est limité à la fosse où Vincent Dumestre et les merveilleux instrumentistes de son "Poème Harmonique" ont pourtant su tirer tout le suc vénitien et l’impalpable poésie de la musique de Cavalli.
Il fut redécouvert tardivement en France alors qu’il était déjà à l’affiche du festival de Glyndebourne dès le début des années 70, puis à La Monnaie de Bruxelles en 1993 avec une production devenue légendaire de La Calisto par Herbert Wernicke et René Jacobs.

Très jeune élève puis collaborateur de Monteverdi, Cavalli, choriste, organiste puis compositeur fut en son temps (1602-1676) un artiste choyé et prolifique. On a longtemps cru que Egisto, le sixième de ses quelques trente opéras, fut créé au Louvre, à Paris, en 1648. Hasard des calendriers : en octobre dernier le théâtre de l’Athénée présentait une production de la Fondation Royaumont avec un tout autre Egisto, contemporain de celui de Cavalli mais signé Marco Marazzoli et Virgilio Mazzocchi. Selon les recherches récentes de la musicologue Barbara Nestola, c’est cet Egiste-là qui fut en réalité l’objet de la création française en question (WT du 21 octobre 2011). On avait ainsi redécouvert l’ancêtre de l’opéra bouffe.

Restait à retrouver la « favola drammatica musicale » originale de l’Egiste de Cavalli, cette suite de jeux amoureux imaginés par le librettiste Giovanni Faustini où Apollon et Vénus, dieux facétieux, chargent Cupidon-Amour leur envoyé spécial, de mettre sens dessus dessous les sentiments de deux couples d’amoureux. Où Clori unie à Egisto le laisse tomber pour s’amouracher de Lidio qui à son tour envoie balader Climène, première femme de son cœur. Pour pimenter le tout Climène a un frère, Hipparco qui en pince également pour Clori. Au paradis, les dieux s’en amusent, dans les enfers les diablesses s’en régalent. Tout s’arrangera. Chacun trouvera sa chacune, sur terre et dans les cieux.

Pour figurer les entre-deux mondes, Benjamin Lazar et Adeline Caron, sa décoratrice, ont imaginé une sorte de ruine étagée à la Piranèse où les colonnes de briques rouges étoffées d’ornements en stuc pivotent sur une tournette installée au milieu de la scène. L’éclairage à la bougie, marque de fabrique du metteur en scène, devient mouvant et perd de son efficacité. Les chanteurs, prisonniers des labyrinthes à colonnes, s’y faufilent le plus souvent dans l’ombre, et, quand ils apparaissent leurs positions, régies par une gestique baroque hors ballet et sans réelle justification chorégraphique, en deviennent inutilement affectées. Leur automatisme finit par engendrer un vertige de lassitude. Comme si la mode « à l’ancienne », avec son éclairage à petites flammes et ses gestes codés, avait fait son temps.
Les chanteurs pourtant ne déméritent pas même s’ils sont de niveaux inégaux. La Clori de la soprano Claire Lefilliâtre émet des aigus diaphanes tandis que la Climène d’Isabelle Druet pousse des sons rageurs, Amour-Cupidon a la grâce d’Ana Quintans, le corps aussi flexible que le timbre.

En Egiste victime et rebelle le baryton Marc Mauillon, spécialiste subtil des musiques anciennes, se livre à un véritable numéro de bravoure, présence illuminée dans la folie, diction perlée, et chant habité. C’est lui qui rompt la torpeur ambiante. Tout comme, dans la fosse, sous la direction fervente et raffinée de Vincent Dumestre, les flûtes malicieuses, les violons et basse de viole, les deux clavecins, les théorbes, lirone, harpe et contrebasse font vibrer une musique faite de délicatesse. En osmose parfaite avec Cavalli et sa Venise.

Egisto de Pier Francesco Cavalli, favola drammatica musicale en un prologue et trois actes, livret de Giovanni Faustini. Le Poème Harmonique direction Vincent Dumestre, mise en scène Benjamin Lazar, décors Adeline Caron, costumes Alain Blanchot, lumières Christophe Naillet. Avec Marc Mauillon, Ander J. Dahlin, Claire Lefilliâtre, Isabelle Druet, Cyril Auvity, Ana Quintans, Serge Goubioud, Luciana Mancini, Caroline Meng, Mariana Flores, Mélodie Ruvio, David Tricou .

Opéra Comique, les 1, 3, 6, 8, 9 février à 20h, le 5 le 15h.

0825 01 01 23 – www.opera-comique.com

Photos Pierre Grosbois

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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