Critique – Opéra & Classique

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart

En noir et blanc, séducteur, obsédé sexuel, sans état d’âme

 Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart

Les reprises se succèdent à Paris en ce début décembre. Après Iphigénie en Tauride de Gluck revisité par Krzysztof Warlikowski au Palais Garnier (WT 5466) le Théâtre des Champs Elysées remet en selle le Don Giovanni de Mozart relu en 2013 par Stéphane Braunschweig (WT 3727). L’anticonformisme trace un lien entre les deux réalisations, mais si celui du premier plonge dans les méandres du temps et de l’inconscient, le second surfe sur les réalités apparentes. Pour son Don Giovanni seules comptent les pulsions de son sexe, leur assouvissement immédiat. Et qu’importe si c’est la mort qui en couronne l’orgasme.

Noirceur et froideur restent les dominantes du parti-pris de Stéphane Braunschweig, l’actuel directeur du Théâtre de l’Odéon. Tous les lieux se confondent dans les décors pivotants de sa scénographie, murs anthracite encordés d’une bordure blanche, portes dérobées, miroirs, fenêtres alignées ou posées en échelons, tournent autour d’un élément moteur : le lit, berceau de tous les ébats, qui devient par son omniprésence, muette et chiffonnée, le personnage principal du dramma giocoso de Mozart. Celui-ci en perd une part de sa portée philosophique. L’appel à la liberté du séducteur n’est plus rien d’autre qu’une pulsion de son désir.

Des brancards, des civières, des tables de massage ponctuent le décor. La nature est absente. Le commandeur n’a plus de statue. De lui, de son assassinat par le prédateur-violeur, il ne reste qu’un cadavre.

Détournement ? Il y en a eu beaucoup d’autres avec des bonheurs divers, l’un des plus emblématiques ayant été celui du cinéaste Michael Haneke, transposant thème, action et philosophie dans les gratte-ciels de la Défense (WT 836, 1065, 4774). Quel que soit le tour que l’on veuille jouer à ce personnage mythique, celui-ci résiste. Les mises en scène passent peu à peu à la trappe. Mais Don Juan, Don Giovanni, héros selon les uns, anti-héros pour d’autres, de Molière à Mozart – et quelques dizaines d’autres – est tout simplement immortel. La froideur clinique dont Braunschweig l’affuble n’est qu’un costume de plus. Qui, ici, malgré son optique réductrice, lui va très bien.

Le voilà donc pantin obsédé sexuel sans état d’âme qui voltige d’une conquête à l’autre et qui, sans scrupule se sert de son valet Leporello pour habiller et légitimer ses mensonges. Fin directeur d’acteur, Braunschweig pousse les uns et les autres à se glisser dans la peau des personnages suivant la perception dont il a revêtu leur identité. Et leurs manies permanentes : fumer, baiser.

Jean-Sébastien Bou, mince, flexible, pas très haut de taille, propose un coureur de jupons à la voix nette impeccablement projetée qui sautille comme un petit animal d’une femelle à l’autre avec la même voracité. La longue silhouette de Robert Gleadow s’est à nouveau emparée de Leporello qu’il chantait et jouait déjà il y a trois ans. La verve de son jeu est assez étourdissante. Il est jusqu’au bout le domestique du Don Juan (ni son double, ni sa conscience comme dans certaines interprétations), il en copie le cynisme, l’appétit, les manœuvres, ballotte entre agacement et résignation d’un timbre ombré où les aigus parfois dérivent. Donna Anna trouve en Myrto Papatanasiu la parfaite image d’une femme en révolte, elle l’interprète avec la dignité des souffrances, le recul des déceptions et un timbre qui vole haut, sans effort apparent et d’une musicalité rayonnante. Julie Boulianne, Elvira, petite bourgeoise hystérique, opprime son medium au profit d’éclats parfois tapageurs surtout au premier acte. Julien Behr, relève avec élégance le défi d’un Don Ottavio attentif et réservé, timbre clair et jeu sans chichi. Anna Grevelius et Marc Scoffoni forment le couple Zerlina/Masetto, elle coquine, pointue, lui agacé, boudeur avec humour. Steven Humes remet au service du Commandeur les graves cuivrés de sa voix de basse, avec une part d’auto dérision qui s’accorde bien au parti-pris de la mise en scène.

On regrette tout de même que Jérémie Rohrer à la tête de Cercle de l’Harmonie soit entré musicalement dans les labyrinthes de la mise en scène. Lourd, lent, il sert davantage Braunschweig que Mozart. Dommage.

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte. Orchestre du Cercle de l’Harmonie, direction Jérémie Rohrer, chœur de Radio France, direction Stéphane Petitjean, mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig, costumes Thibault Vancraenenbroeck, lumières Marion Hewlet. Avec Jean-Sébastien Bou, Robert Gleadow, Myrto Papatanasiu, Julie Boulianne, Julien Behr, Anna Grevelius, Marc Scoffoni, Steven Humes.

Théâtre des Champs Elysées, les 5, 7, 9, 13, 15 décembre à 19h30, le 11 à 17h

01 49 52 50 50 – www.theatrechampselysees.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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