Barcelone - Gran Teatre del Liceu

Death in Venice de Benjmain Britten

Eros et Tanatos à Venise

Death in Venice de Benjmain Britten

L’opéra de Benjamin Britten (1913-1976) Death in Venice (1973), d’après le court roman de Thomas Mann (1875-1955), Der Tod in Venedig (1912), raconte comment un célèbre écrivain allemand Gustav von Aschenbach, installé à Venise dans l’espoir de renouer avec une inspiration défaillante, est séduit par la beauté du jeune polonais Tadzio. Son obsession se transforme bientôt en un sentiment d’amour impossible. La mort de l’écrivain lors du départ de Tadzio, à la fin de la saison d’été, marque l’exaltation extrême qu’un artiste peut atteindre lorsqu’il découvre la beauté absolue.

La ville des doges, avec ce qu’elle a de sublime mais aussi de pourri, illustre en toile de fond, l’état de confusion mentale et morale de Gustav von Aschenbach (littéralement « ruisseau de cendres », nom prémonitoire) tout au long de l’histoire : l’artiste est comblé par la découverte de la perfection formelle, mais l’homme se sent confus et coupable du sentiment homosexuel que Tadzio, bien involontairement, a fait naître en lui.

Thomas Mann qui avait 37 ans en 1912 avait décrit la progression du sentiment pédophile de son personnage d’un point de vue totalement externe et littéraire, parce que les folles années qui précédèrent la première Guerre Mondiale, semblaient lui demander d’aborder la question. Ce n’est pas le cas de Benjamin Britten, soixante ans plus tard, à la veille de sa mort était bel et bien installé dans une homosexualité affichée et son œuvre faisait souvent allusion aux enfants dans des situations quelque peu troubles. C’est pourquoi, le livret de Myfanwy Piper met plutôt en avant la question de la beauté de l’éphèbe polonais, alors que le roman de Thomas Mann s’intéresse surtout à l’envahissement progressif de la vie de l’écrivain par l’idée de la déchéance et de la mort.

La progressive obsession sexuelle de l’écrivain pour l’adolescent

L’histoire avance très lentement, de façon linéaire, suivant les rencontres et les pensées de Gustav von Aschenbach, et seuls quelques moments de délire viennent interrompre fugitivement sa progression. Puisqu’il s’agit de l’évolution mentale de l’écrivain, Benjamin Britten utilise seulement le récitatif comme expression vocale ; de plus, il limite à l’extrême tout développement musical qui pourrait venir entraver la compréhension du texte, donc la progressive obsession sexuelle de l’écrivain pour l’adolescent. Le compositeur s’est doté cependant d’un dispositif orchestral considérable, qu’il utilise par combinaisons successives de petits nombres de pupitres. Ceci lui ouvre d’énormes possibilités combinatoires dont il tire un grand profit, tant les choix sont bien faits et le raffinement des sujets musicaux en accord avec la situation du moment.

La mise en scène de Willy Decker, dans les décors raffinés de Wolfgang Gussmann, illustre les 17 scènes sans transpositions intellectuelles ni rajouts non nécessaires ; la lecture en est grandement facilitée et rend plus acceptables les incessant levers et chutes de rideau entre chaque scène. Willy Decker, soigne particulièrement les mouvements d’ensemble, et lorsqu’il suit les déboires de l’écrivain, il se montre particulièrement pudique quand il en illustre les rêves. Les personnages secondaires sont également très travaillés, mais il a regroupé les Italiens qui entourent les touristes à Venise (ils font penser au Montmartre de « Louise » de Gustave Charpentier -1900-) en un seul « gruppetto » banalement habillé en vert-blanc-rouge, ce qui donne une vision réductrice de l’Italie : « mandoline et chianti ».

La performance vocale et dramatique de Hans Schöpflin –Gustav von Aschenbach, présent constamment sur scène- n’est pas passée inaperçue ; le ténor allemand a gagné des applaudissements fournis bien mérités. A ses côtés Scott Hendricks –voyageur, vieux gondolier, barbier de l’hôtel,..- a, lui aussi, fait valoir ses talents dans ces différents rôles. Le reste de la distribution s’est montré à la hauteur des circonstances, tout comme les chœurs bien préparés par José Luis Basso.

Si la vision de l’homosexualité a bien changé dernièrement sous nos latitudes, il n’en va pas de même pour la pédophilie. Le sujet de Thomas Mann reste donc particulièrement sensible. La raison qui tente de justifier le sentiment de l’écrivain pour l’adolescent –la relation de l’artiste avec la notion de beauté- est bien éloignée des préoccupations du public en général. De ce fait, la lente progression de la pièce, qui suit la sublimation des sentiments de l’adulte envers le jeune garçon, n’a pas recueilli le plébiscite des licéistes. Très curieusement, ils ont applaudi les artistes avec une sincérité non feinte. En revanche, ils ne se sont pas privés de critiquer pendant l’entracte et à la fin de la représentation, outre la lenteur de la pièce, le sujet traité et l’austérité de la forme musicale adoptée par Benjamin Britten.

Death in Venice, opéra en deux actes de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper basé sur le roman « Tod in Venedig » de Thomas Mann. Production Gran Teatre del Liceu, Teatro Real de Madrid et le Deutsche Opera am Rhein Dûsseldorf-Duisburg. Mise en scène de Willy Decker. Décors de Wolfgang Gussmann. Direction musicale de Sebastian Weigle. Avec Hans Schöpflin, Scott Hendricks, Carlos Mena, Leigh Melrose...
Barcelone - Gran Teatre del Liceu les 13, 16, 20, 25, 27, 30 mai 2008.

Crédit photos : Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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