Paris, Ciné 13 théâtre
D. A. F. Marquis de Sade de Pierre-Alain Lele
Un libertin dans sa prison
La pièce se donne tard sur la butte Montmartre, dans le beau théâtre ouvert par Claude Lelouch et confié à Salomé Lelouch. Assiste-t-on à la renaissance du théâtre libertin qui faisait frémir nos grands-pères ? Pas vraiment ! La soirée est leste et brutale parfois mais Pierre-Alain Leleu, qui joue lui-même le rôle du marquis de Sade, n’invite pas réellement le spectateur à partager des émotions érotiques. Avec plus d’ambition, il brosse un portrait de l’auteur de Justine ou l’Infortune de la vertu en composant un moment qui donne plutôt la place à l’Histoire et à la résonance contemporaine qu’aux fantasmes – bien que ceux-ci ne soient pas absents.
Dans une cellule de la prison de la Bastille, on amène un prisonnier : Sade ! Le gardien craint le pire, et il a raison. Le nouveau venu, qui a déjà fait six ans de prison à Vincennes, se moque de son geôlier, dont il écorche le nom, a des exigences incompatibles avec le règlement et professe des idées à s’arracher les cheveux. Ses discussions n’iront pas mieux avec le prêtre de service. Puis voilà qu’entre une femme, rêvée, mais tellement présente, avec laquelle le marquis pratique quelques étreintes et auprès de laquelle il peut exposer son apologie du plaisir. La solitude, ensuite, va retomber sur lui, Donatien Alfonse François, l’un des pires réprouvés de l’Histoire…
L’auteur a beaucoup puisé dans l’œuvre de Sade et l’on y goûte, sous une violence qui ne s’est pas affadie, une langue démonstrative à la Diderot, c’est-à-dire très brillante alors même qu’elle est raisonneuse. Pierre-Alain Leleu n’en a pas moins fait une œuvre personnelle qui joue avec bonheur entre la réalité et la fiction. Il donne aussi une sensibilité, une blessure profonde au personnage qui, ainsi, échappe aux stéréotypes. Le metteur en scène Nicolas Briançon dit qu’il a privilégié l’enfant qui reste en Sade et qui brise ses jouets dans un monde hostile. Sans doute, mais c’est plus le jeu des situations et des relations qu’il a mis en valeur fort habilement, en alternant, comme dans une ronde, l’aspérité et la drôlerie, en mariant dans un vif pas de deux le langage théorique et la fantaisie.
L’interprétation de Pierre-Alain Leleu va, elle, vers la puissance et donne au personnage de Sade une énergie d’autant plus convaincante qu’elle révèle peu à peu son désespoir. Michel Dussarat, en prêtre qui tiendrait plutôt de la religieuse, s’amuse fort à propos de l’ambiguïté de sa plaisante prestation. Jacques Brunet assure le rôle du gardien avec beaucoup de verdeur. Enfin, Dany Verissimo est tout à fait concrète en femme imaginaire ; elle sait apporter de la singularité et de la distance à ce qui ne pourrait être que les figures imposées de la sensualité.
De toutes les pièces inspirées par le marquis de Sade, celle-ci est sans doute la plus près de sa vérité sulfureuse et souffrante.
D. A. F. Marquis de Sade de Pierre-Alain Leleu, mis en scène de Nicolas Briançon, décor de Bastien Forestier, costumes de Michel Dussarat, lumière de Gaëlle de Malglaive, affiche de Fabien Dumas, avec Dany Verissimo, Pierre-Alain Leleu, Michel Dussarat, Jacques Brunet. Ciné 13 Théâtre, 21 h 30, tél. : 01 42 54 15 12, jusqu’au 16 mars. (Durée : 1 h 15).
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