Création et réseaux : un point de vue sur l’omerta culturelle

Stéphane Bugat, rédacteur en chef du Journal des Spectacles

Webthea : Stéphane Bugat, vous avez créé il y a quatre mois Le Journal des Spectacles. Pouvez vous nous présenter cette publication, sa “genèse” et sa ligne éditoriale ?

Stéphane Bugat : Le Journal des Spectacles est un mensuel, au format tabloïd, qui se singularise de ses concurrents parce qu’il est presque uniquement composé de critiques de spectacles. C’est aussi le prolongement d’une première tentative que nous avions menée, avec la même équipe, à l’automne dernier, avec un journal qui s’intitulait La Quinzaine des Spectacles.

Dans Le Journal des Spectacles, nous nous intéressons aux quatre grandes “familles artistiques” que sont le théâtre, l’opéra, la danse et les concerts, à travers toutes leurs déclinaisons, y compris les formes d’expression les plus marginales. Sur cette base, nous essayons d’offrir chaque mois un panorama relativement complet de ce qui se passe à Paris mais aussi en régions.


Webthea : En consacrant une large place à l’actualité des spectacles en régions, avez-vous souhaité combler un vide, un manque d’information ? Pourquoi ce choix ?

Stéphane Bugat : Si nous faisons ce journal ce n’est pas en fonction de règles marketing plus ou moins avérées. De ce point de vue, nous ne sommes probablement pas des gens « sérieux » ! Nous sommes plutôt des passionnés. Nous travaillons par goût, par plaisir et par envie. En fait, nous avons tout simplement créé le journal que nous avions envie de lire. Comme il n’existait pas, il a bien fallu se résoudre à le faire nous-mêmes !

Ainsi, aller dans les régions est à mon sens une évidence quand on regarde la réalité de la création en France. Prenez la danse par exemple. La France est l’un des pays qui compte le plus de compagnies de danse. Elles sont disséminées sur tout le territoire et elles ne devraient pas avoir besoin de se montrer à Paris pour exister.
Ceci est vrai aussi pour le théâtre, l’opéra et pour les concerts ! On a souvent l’impression que toutes les créations se font à Paris mais, en réalité, c’est une simple illusion d’optique. Dans le journal, nous essayons donc, dans la mesure de nos moyens, de ne pas être obnubilés par le tropisme parisien.

Webthea : Qu’est-ce qui vous a motivé dans la création de ce journal ? Vous nous parliez tout à l’heure de passion, y-a-t’il d’autres raisons ?

Stéphane Bugat : Je ne sais pas si il faut parler des autres raisons parce que je crois qu’elles relèvent tout simplement de la psychiatrie. Aujourd’hui, en France, il faut être frappadingue pour oser publier un journal qui soit à la fois critique et indépendant. D’ailleurs, dans nos domaines, nous sommes probablement le seul journal à appartenir aux journalistes qui le réalisent et à ne pas être subventionné. Nous avons la naïveté de considérer que ce sont là les conditions nécessaires à notre indépendance.

Cela étant, les conditions générales de l’exploitation de la presse, en France, sont lourdement pénalisantes pour des publications comme la notre. C’est particulièrement vrai pour le système de distribution, aux mains des grands groupes. C’est également le cas pour la publicité. Notre impact est trop modeste pour intéresser les grands annonceurs et les organisateurs de spectacles, quoi qu’ils en disent, n’apprécient rien tant que la complaisance, le copinage. Le monde du spectacle fonctionne en réseaux fermés. Pour y être admis, il faut donner des gages.

Il me semble aussi que notre volonté de nous montrer critiques et indépendants fait que nous ne plaisons pas à tout le monde. Tout cela pour vous dire que dans cette économie extrêmement précaire, ce journal n’existe finalement que par la volonté de ceux qui le font, par leur implication.


Webthea : Pour terminer, vous qui voyez beaucoup de spectacles, quel est votre sentiment par rapport à l’évolution du secteur et à la vitalité de la création aujourd’hui ?

Stéphane Bugat : Il est très difficile de répondre à une question aussi générale. Il me semble, en effet, que ce qui caractérise le spectacle vivant aujourd’hui, c’est vraiment la richesse, pour ne pas dire la prolifération de sa production.

Il n’y a jamais eu autant de spectacles crées en France, et ces créations se font très souvent dans des conditions d’extrême précarité. Il n’est pourtant pas certain que la qualité ou même simplement l’originalité y trouvent leur compte.

En étant subjectif, je dirais que, de ce point de vue, la période n’est pas exaltante. Il y a un système pesant, articulé autour de grandes institutions, aux mains de personnages dont la virtuosité s’exprime surtout dans les jeux de pouvoirs. Dès lors, la créativité, le talent, l’imagination et l’audace ont bien moins d’importance que les idées reçues du moment et la règle du renvoi d’ascenseur.

En réalité, ces grandes institutions, dont la plupart des responsables ont perdu la notion de « mission » qui fut l’idée force des pionniers de la décentralisation culturelle, écrasent le terreau sur lequel elles existent, celui des compagnies petites ou grandes. Pour autant, personne n’ose “sortir du bois”, se rebeller, parce que ces gens là sont les seuls à avoir la possibilité de faire vivre tel ou tel, même fugitivement. Nous sommes vraiment dans un climat d’omerta, et il me semble que le conflit des intermittents, au-delà d’un apparent consensus, illustre bien ces contradictions, ces hypocrisies. Il est plus facile de réclamer toujours plus de moyens à la collectivité, comme si c’était un dû, que de remettre en question un système figé et s’interroger sur ce que l’on fait et sur la manière dont on le fait.

Contact : quinzaine.spectacles@wanadoo.fr
tel : 01 47 70 03 07

A propos de l'auteur
Gilles Dumont

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook