Così, Pelly, Santoni

Au Théâtre des Champs-Élysées, un Così fan tutte bondissant nous ravit sans pour autant bouleverser l’image que nous nous faisons de l’opéra de Mozart.

Così, Pelly, Santoni

TOSCANINI AFFIRMAIT QUE POUR REPRÉSENTER dignement Le Trouvère de Verdi, il suffit de réunir les quatre plus grandes voix du monde. Soixante ans auparavant, Mozart nous montrait avec Così fan tutte que pour composer un opéra pur et parfait, il est bon de réunir six voix correspondant à six tessitures nettement différenciées. Ces six voix étaient-elles réunies au Théâtre des Champs-Élysées ? La réponse est oui, et d’ailleurs si Così, depuis quelques décennies, a la faveur des directeurs de théâtre, c’est non seulement parce que son propos répond à nos interrogations, mais aussi parce qu’il existe les chanteurs, de la basse caustique (Alfonso) à la soprano épanouie (Fiordiligi), capables de rendre justice à l’opéra de Mozart.

La distribution réunie au Théâtre des Champs-Élysées était donc, sur le papier, l’une des plus somptueuses du moment. Et elle n’a pas déçu. Le timbre plus riche que sombre de Gaëlle Arquez (Dorabella), le soprano ambigu de Laurène Paternò (Despina, un peu irritante en médecin puis en notaire), voisinent ici avec le tempérament mordant et la voix poivrée de Laurent Naouri (Don Alfonso), avec Florian Sempey, baryton au zénith (Guglielmo), avec le rayonnant Cyrille Dubois (Ferrando, idéal dans « Un’aura amorosa », délicieusement accompagné par les cors et les bois du Concert d’Astrée). Voilà une affiche qui ne trahit pas ses promesses et qui donne de l’allant, de la nostalgie et toute une palette d’humeurs à l’opéra de Mozart.

On n’a pas cité Fiordiligi : elle a ici les traits et la voix de Vannina Santoni, qui fait annoncer, avant le spectacle, qu’elle est souffrante mais qu’elle a tenu à chanter. Soit. Mais à l’entr’acte, le couperet tombe : Vannina Santoni est trop malade, elle ne peut pas poursuivre et sera remplacée par Nicole Car, qui arrive à la rescousse, miraculeusement disponible. En réalité, Vannina Santoni continuera d’assurer les récitatifs (avec beaucoup plus d’assurance qu’au premier acte, libérée qu’elle est du poids des pages qu’elle aurait abordées au risque de se saborder la voix), laissant à la nouvelle venue, installée côté jardin de la scène, devant un pupitre, le soin de s’emparer des airs et des ensembles, notamment du redoutable rondo « Per pietà, ben moi, persona », qui dit combien Fiordiligi conçoit l’amour à cent lieues de Dorabella. L’équilibre vocal en est modifié, même si, au fil de l’acte, l’enchaînement entre l’une et l’autre voix se fait de manière plus naturelle : Nicole Car a une autre étoffe dans la voix, et le contraste avec Gaëlle Arquez s’en trouve réduit. Il est vrai, cela dit, qu’il s’agit d’un opéra sur le thème de l’échange des amants et des fiancés…

Malentendu ou paradoxe ?

La mise en scène de Laurent Pelly est séduisante mais repose sur un malentendu. Au tout début du premier acte, les deux chanteuses qui doivent incarner Fiordiligi et Dorabella se rendent dans un studio où il est question d’enregistrer l’opéra de Mozart. Va-t-on nous imposer une quasi-version de concert, avec chacun des protagonistes derrière son micro (fictif, car nous sommes au théâtre) ? Non, bien sûr, car nous sommes au théâtre. Très vite les chanteurs illustrent le Paradoxe sur le comédien de Diderot, mais à l’envers : ils perdent peu à peu leur sang-froid et s’oublient au point de n’être plus que leurs personnages. Dès lors, la mise en scène oublie son point de départ et devient, certes dans un décor contemporain, une illustration des péripéties imaginées par Da Ponte, librettiste de Mozart, avec ses Albanais exotiques et son Alfonso en Méphistophélès de comptoir.

Voilà encore une idée de départ qui tourne court, faute de pouvoir tenir la route au fil des situations ; et ce ne sont pas des micros de temps en temps descendus des cintres, pour nous rappeler l’enjeu, qui peuvent donner de la cohérence à ce qu’on voit. Les six chanteurs, heureusement, sont tous de brillants comédiens ; Florian Sempey se déchaîne, et Cyrille Dubois nous comble avec la même intelligence scénique qu’il déploie dans Point d’orgue de Thierry Escaich, même si bien sûr ces deux opéras ont peu à voir entre eux.

Au pupitre, Emmanuelle Haïm entraîne tout son monde avec brio, sans lui laisser parfois le temps de respirer ou de rêver. Mais il y a de l’énergie dans cette production, un pianoforte qui fait des récitatifs de vrais moments de théâtre, et un chœur peu sollicité mais qui ne démérite jamais.

Illustration : Guglielmo et Ferrando en albanais ; au fond, Fiordiligi et Dorabella s’entretiennent avec Don Alfonso (photo Vincent Pontet)

Mozart : Così fan tutte. Laurent Pelly (mise en scène). Vanina Santoni/Nicole Car (Fiordiligi), Gaëlle Arquez (Dorabella), Cyrille Dubois (Ferrando), Florian Sempey (Guglielmo), Laurène Paternò (Despina), Laurent Naouri (Don Alfonso) ; Chœur Unikanti ; Le Concert d’Astrée, dir. Emmanuelle Haïm. Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Chantal Thomas (scénographie), Joël Adam (lumières). Théâtre des Champs-Élysées, 14 mars 2022. Prochaines représentations : 16, 18 et 20 mars.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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