Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 3 novembre

Contre, de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux

La Comédie française fait revivre deux monstres sacrés du cinéma indépendant américain, John Cassavetes et Gena Rowlands.

Contre, de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux

John Cassavetes et Gena Rowlands, lui acteur et réalisateur, elle actrice. Ce couple emblématique du cinéma indépendant américain est porté à la scène du Vieux Colombier par une poignée d’acteurs de la Comédie française. Menée par Sébastien Pouderoux, qui à la suite de Comme une pierre …, Les Précieuses ridicules et Les Serge, poursuit ses portraits d’artistes à la tâche, la troupe de la Comédie française fait revivre ce couple mythique à l’écran comme à la ville sans viser le biopic.

Secondé par Constance Meyer pour la mise en scène et Agathe Peyrard pour la dramaturgie, Pouderoux ne cache pas son admiration pour cette paire hors-normes. Le spectacle les met en scène au travail ou dans leur vie quotidienne entourés d’une communauté de gens du cinéma, comédiens, techniciens et producteurs. Sans oublier les critiques avec lesquels Cassavetes aura souvent maille à partir.

Temps de batailles

Typiquement new yorkais, ce duo pour qui le cinéma plus qu’un art est une manière de vivre est saisi au faîte de sa période créatrice, dans un temps de batailles, de solitude et de combat contre tout, particulièrement des conformismes de métier qui brident et sclérosent la création. D’où le titre très elliptique de la pièce : Contre. Rejetant toute idée préconçue sur le scénario ou la conduite d’un film, John Cassavetes est l’antithèse du réalisateur formaté d’Hollywood. Et elle de la star de papier glacé.

Fruit d’un travail très fouillé de documentation, la pièce très (parfois trop) riche et profuse, pas toujours facile à suivre, égrène à un rythme soutenu les scènes d’interview, de tournage, de making of ou de séquences de films. Notamment d’Une femme sous influence (1974), l’histoire d’une femme au foyer à la dérive, chef d’œuvre du couple auquel s’adjoint Peter Falk (l’inoubliable inspecteur Colombo).

Une intrigue purement fictive mais avec des fondements bien réels vient rythmer ces séquences. Dans un bureau de police, au milieu des années 80, des témoins filmés en gros plans à la manière de Cassavetes, viennent répondre aux questions d’une inspectrice. Celle-ci enquête sur une plainte pour coups et blessures portée contre le réalisateur par le chef opérateur de Shadows, son premier film, en 1959. Pour fictive qu’elle soit, cette plainte est nourrie des conflits incessants suscités par le cinéaste contre ses partenaires, conflits portant sur la répartition des bénéfices ou le périmètre des uns et des autres.

Si un rôle principal est assigné à chacun des huit acteurs de la troupe, ils en incarnent d’autres secondaires. Seul Sébastien Pouderoux se cantonne à un personnage : celui de John Cassavetes, et c’est bien assez tant la personnalité du réalisateur alcoolique, non exempt de violence, d’outrances et de provocations s’avère difficile à cerner. En revanche, Marina Hands joue deux rôles et nous épate par la subtilité et la diversité de ses interprétations. D’un côté, elle est Gena Rowlands, actrice fondamentalement raccord avec son réalisateur de mari et néanmoins ne cédant pas un pouce de sa personnalité. Et de l’autre, la critique de cinéma Eloïse Cornet, qui débute dans la profession avec beaucoup d’ingénuité et de sagacité. Tout le contraire de Pauline Kael, jouée par Dominique Blanc, impayable vieille routière de la critique, absolument et catégoriquement allergique aux films de Cassavetes.

On regrette juste le rythme effréné de cette production dans un décor unique, lieu de vie, de travail, de fête, d’interrogatoire ou d’émission critique télé, qui ne ménage pas d’espace pour la respiration. Seul un vrai moment d’émotion se profile dans la scène finale, autour de la dépouille du réalisateur mort en 1989, à soixante ans. Gena Rowlands, elle, est décédée en août dernier, à 94 ans, au moment de la préparation de la pièce, ce qui n’est sans doute pas indifférent.

Contre, d’après la vie et l’œuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands, de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux, https://comedie-francaise.fr

Mise en scène : Constance Meyer et Sébastien Pouderoux. Avec Sébastien Pouderoux, Dominique Blanc, Marina Hands, Nicolas Chupin, Jordan Rezgui. Et Rachel Collignon, Blanche Sottou, Antoine Prud’homme de la Boussinière
Photo : Christophe Raynaud de Lage

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de...

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