Castor et Pollux de Rameau au Palais Garnier jusqu’au 23 février

Rameau, la voix céleste et la douche froide

« Castor et Pollux » a 288 ans… et le Palais Garnier 150. L’un et l’autre font musicalement très bon ménage, en dépit d’un spectacle qui n’a rien pour nous enchanter.

Rameau, la voix céleste et la douche froide

UN MOIS APRÈS LES FÊTES D’HÉBÉ à l’Opéra Comique, revoici Rameau tel qu’en lui-même, ses rythmes capricieux, son orchestre lumineux et bourdonnant, ses moments de grâce mélodique, ses chœurs euphoriques. Castor et Pollux, donné ici dans la version originale de 1737 (qui comprend un Prologue absent de la version de 1754, au cours duquel Vénus et Minerve soumettent Mars, dieu de la guerre), reprend le mythe des deux demi-frères, Castor étant mortel et l’autre, Pollux, fils de Zeus, immortel. Quand Castor meurt à la guerre, Télaïre envoie Pollux aux enfers afin de ramener l’ombre de celui qu’elle aime. Oui mais s’il prend la place de Castor, Pollux perd sa vertu d’immortalité… Jupiter finit par intervenir et faire don de l’immortalité aux deux héros. Entre-temps, Télaïre a dû repousser les avances de Pollux, lui aussi épris d’elle mais aimé, dans un schéma racinien, par la fougueuse Phébé.

Castor et Pollux contient le poignant lamento « Tristes apprêts », mais ne saurait bien sûr se réduire à cette page célèbre. L’ampleur de l’ouvrage et sa variété d’humeurs, typiques de la manière de Rameau, conviennent idéalement à la direction énergique de Teodor Currentzis, qui emmène un orchestre Utopia nerveux, riche de matière et de sonorité, en poussant parfois à l’extrême les contrastes de tempo : la fin de « Tristes apprêts », précisément, est à la limite de l’alanguissement, mais la dynamique même de la musique de Rameau rétablit toujours l’équilibre. Et l’on ne saurait oublier la beauté des bois (la flûte, au moment de l’apparition de Castor) et la joie qui règne dans les pupitres de percussions (où s’est malicieusement glissé un cymbalum !).

La volupté nous enchante

Les chœurs d’Utopia n’ont pas tout à fait la même cohésion (en particulier les voix de basse, un peu pâlottes), mais la distribution réunie s’approche de l’idéal. Jeanine de Bique (Télaïre), le timbre rond, le phrasé majestueux, a la dignité triste de celle qui déplore tout l’oppose à Phébé, interprétée ici par une Stéphanie d’Oustrac bondissante, furieuse, les notes graves poitrinés avec maîtrise. Les deux rôles-titres contrastent moins par le tempérament : l’un et l’autre expriment plutôt la stupeur, le regret ou le sentiment élégiaque. Marc Mauillon, le timbre clair, la diction impeccable, est aussi à l’aise que dans Les Fêtes d’Hébé. Castor n’intervient qu’à partir du quatrième acte, mais Reinoud van Mechelen nous comble une fois de plus par son timbre comme venu du ciel, la douceur de son phrasé, la maîtrise avec laquelle il pratique la technique de la voix mixte. On lui donne mille fois raison lorsqu’il s’exclame « De ces accords touchants la volupté m’enchante » !

Les petits rôles sont fort bien distribués, à commencer par Laurence Kilsby, qui donne de la lumière à l’Amour dans le Prologue, où se conjuguent fort bien les voix de Claire Antoine (Minerve) et Natalia Smirnova (Vénus). Nicholas Newton a de son côté l’autorité qui convient à Jupiter.

L’art un peu répétitif de la contorsion

Reste la mise en scène, ou ce qui est annoncé comme telle. Peter Sellars nous a autrefois offert des spectacles pleins d’idées heureuses, mais il semble que son imagination se soit tarie au fil du temps. Sa Beatrice di Tenda, il y a un an, nous avait paru sommaire, son Castor et Pollux va plus loin dans l’indigence. On passera sur les décors (il n’y a pas de lavabo mais une douche et un évier), sur les costumes (les inévitables sweats à capuches, tee-shirts et autres jeans sortis d’une friperie) et sur les vidéos (une banlieue avec ses usines et ses camions pendant le Prologue, des ciels étoilés et des constellations par la suite – les Gémeaux bien sûr !) mais comment ne pas déplorer le laisser-aller de la direction d’acteurs, les gestes ridicules des chœurs (qui lancent les bras en l’air pour implorer le ciel), et cette fin où, pour célébrer « la fête de l’univers », on apporte les bouteilles et les gâteaux. La salle entière alors s’illumine, tandis que Pollux et Phébé se vautrent dans leur canapé. On a rarement fait aussi benêt.

L’animation scénique tient en réalité à la seule présence de la chorégraphie, ce qui est finalement à propos quand on sait l’importance que tiennent les airs de danse dans les ouvrages lyriques de Rameau. À ceci près qu’il est difficile de voir un opéra, aujourd’hui, sans sa petite touche de hip hop. Peter Sellars, ici, a fait appel à la troupe de Cal Hunt, qui pratique la flex dance, discipline née à Brooklyn, inspirée par des danses jamaïcaines, et faite de mouvements fluides, de contorsions et de fractures qui, nous dit le programme de salle, « se font les témoins de la brutalité de la guerre et des injustices qui secouent notre monde ». Certes. Mais outre qu’elles sont à la longue un peu envahissantes, les figures de la flex dance ne peuvent suffire à suggérer la complexité, la finesse, la poésie de l’univers de Rameau. Castor et Pollux n’est pas seulement un ouvrage sur la guerre enchaînée par l’amour, c’est aussi une méditation lyrique sur les outre-mondes et le passage du miroir.

Illustration : Phébé (Stéphanie d’Oustrac) avalée par le canapé, l’une des rares idées de mise en scène de Peter Sellars (photo Vincent Pontet/OnP)

Rameau : Castor et Pollux. Avec Jeanine De Bique (Télaïre), Stéphanie d’Oustrac (Phébé), Reinoud van Mechelen (Castor), Marc Mauillon (Pollux), Nicholas Newton (Mars, Un athlète, Jupiter), Laurence Kilsby (l’Amour, Un athlète, le Grand-Prêtre de Jupiter), Claire Antoine (Minerve, Une suivante d’Hébé), Natalia Smirnova (Vénus, Une ombre heureuse). Mise en scène : Peter Sellars ; Chorégraphie : Cal Hunt ; décor : Joelle Aoun ; costumes : Camille Assaf ; lumières : James F. Ingalls ; vidéo : Alex Macinnis ; Chœur et Orchestre Utopia (chef des chœurs : Vitaly Polonsky), dir. Teodor Currentzis. Palais Garnier, 25 janvier 2025. Représentations suivantes : 28, 30 janvier, 1er, 7, 11, 13, 15, 19, 23 février. France Musique diffusera Castor et Pollux le samedi 22 février à 20h.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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