Paris – Théâtre de l’Athénée jusqu’au 11 mars – et en tournée
Caligula de Giovanni Maria Pagliardi
Des marionnettes de Palerme pour une découverte musicale de Venise
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- 9 mars 2012
- Critiques
- Opéra & Classique
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Pagliardi qui ? Pagliardi quoi ? Voilà un nom de compositeur qui ne figure dans aucun des dictionnaires courants de musique ou même tout simplement de noms propres. Il aura fallu que Vincent Dumestre créateur de l’ensemble Le Poème Harmonique s’associe à Mimmo Cuticchio, âme et animateur d’une troupe de marionnettistes de Sicile pour que ressuscite son opéra Caligula delirante. Et qu’on se souvienne ou plus exactement qu’on découvre qu’un certain Giovanni Maria Pagliardi (1637-1702), né à Gênes, célébré à Venise fut en son temps un compositeur prolifique, sollicité et admiré.
Il avait six ans à la mort de Monteverdi qui, comme on le sait, fut le premier à mêler les drames à la musique et à transformer les chanteurs en acteurs. Bref à inventer l’opéra, un genre qui sur les terres de Vénétie proliféra pour ainsi dire comme de la mauvaise – et bonne - herbe. On ne finit pas d’en découvrir les compositeurs. Pagliardi fut l’un de ceux-là, auteur de musique sacrée, d’oratorios et d’opéras dont le premier, Caligula delirante, créé en 1672 au théâtre Santi Giovanni e Paolo de Venise connut un succès qui lui valut une quinzaine de reprises en une seule saison et d’innombrables représentations dans toutes les villes d’Italie.
L’existence chaotique de Caius César Caligula, le tyran fou du début de notre ère, empereur à Rome de 37 à 41, assassiné à l’âge de 29 ans pour faits de démence sanguinaire, inspira à travers les siècles musiciens, poètes et dramaturges. Albert Camus fut l’un des plus récents, sa pièce éponyme trace le portrait saisissant d’un psychopathe qui veut mêler le ciel à la mer et qui implore la lune pour atteindre l’immortalité.
Des envolées qui glissent du tragique au comique
Pagliardi avait déjà constaté les mêmes dérapages et leur avait confectionné une partition aux sonorités taillées pour voix, lirones, violone, luth et clavecin qu’il pouvait facilement faire voyager de salons en théâtres. Sa musique aux leitmotivs qui reviennent en boucle, aux envolées qui glissent du tragique au comique, colore presque joyeusement les tribulations insensées de cet antihéros qu’avait été l’empereur cinglé de Rome, et se prête en malice aux manipulations des marionnettistes des « pupi » à tringle et ficelles de la compagnie Figli d’Arte Cuticchio.
Ces poupées sont donc les héros du destin tarabiscoté de l’empereur dingue qui se croit tout permis, qui s’amourache d’une reine naufragée, laquelle se croit veuve, mais qui au final découvrira qu’elle – ouf ! - ne l’est pas. Tandis que l’épouse légitime folle de rage de et de jalousie construit un stratagème diabolique pour se débarrasser de sa rivale… Le breuvage qu’elle fait ingurgiter à son volage époux lui fait perdre la raison, il s’envole pour séduire la lune, il meurt et renaît… La tragédie est ici coiffée d’un chapeau de clown.
Des bougies – et un peu d’électricité – éclairent la petite scène surélevée qu’encadre à mi-hauteur des toiles peintes de palais et de jardins. Mimmo Cuticchio, vétéran barbu et ses comparses vêtus de longues blouses noires, y font bouger à vue leurs créatures de bois peint somptueusement habillées de soie et de brocarts et armées de ferrailles. Elles se battent en duels, se disputent, se poursuivent, s’aiment, s’embrassent, s’envolent en délires et en amours…
Des voix qui transmettent des ondes aux personnages de bois
Dans la pénombre, à cour et à jardin, des chanteurs rompus à ce style de répertoire leur donnent de la voix avec une conviction qui semble se transmettre en ondes jusqu’à leurs personnages de bois. Le ténor belge Jan van Elsacker, un familier de Philippe Herreweghe, Gustav Leonhardt, Sigiswald Kuyken, les princes du baroque du plat pays, prête toutes les richesses de son timbre au fou délirant, graves ricanants, aigus de fine lame. Les sopranos Caroline Meng en impératrice enragée, Luanda Sigueira en veuve royale trop séduisante, Florian Götz, Serge Goubioud et le haute-contre Jean-François Lombard, monarque revenu des eaux, tous sont parfaitement à l’aise dans les codes et les timbres particuliers de la musique.
Au départ, Vincent Dumestre en avait découvert la partition en chinant dans la bibliothèque Marciania de Venise puis eut l’idée de la confier à Mimmo Cuticchio pour un spectacle de marionnettes à destination du Festival Mondial de Théâtre de Marionnettes de Charleville-Mézières. A l’arrivée, une heure quinze de magie visuelle et sonore pour enchanter petits et grands en escale à Paris au Théâtre de l’Athénée avant une tournée qui dès le mois d’août voyagera de festival en festival..
Caligula de Giovanni Maria Pagliardi, livret d’après Domenico Gisberti. Ensemble Le Poème Harmonique direction artistique et musicale Vincent Dumestre, compagnie Figli d’Arte Cuticchio, mise en scène Alexandra Rübner et Mimmo Cuticchio. Lumières Patrick Naillet, toiles peintes Isaure de Beauval. Avec Jan van Elsacker, Caroline Meng ; Florian Götz, Jean-François Lombard, Luanda Siqueira, Serge Goubioud.
Production Arcal en coproduction avec Le Poème Harmonique, Arcadi, l’Opéra de Reims et le Théâtre de l’Athénée.
Paris Théâtre de l’Athénée, le 8 mars à 20h, le 10 à 15h et 20h, le 11 à 16h
01 53 05 19 19 – www.athenee-theatre.com
Théâtre Jean Vilar de Vitry sur Seine, le 23 mars à 14h30 et 21h.
01 55 53 10 60
Photos Maroussia Podkosova