Cabaret, le come-back

Le Lido de Paris rouvre avec le fameux musical des années 70 porté à la scène par Robert Carsen, servi par une troupe pleine d’énergie.

Cabaret, le come-back

« Willkommen ! Bienvenue ! Welcome ! » On connaît la chanson lancée par le maître de cérémonie qui ouvre les folles nuits du cabaret berlinois le Kit Kat Kub, dans les années trente. Cette fois, elle ouvre aussi les portes du nouveau Lido, le vieux cabaret des Champs-Élysées, rebaptisé Lido2Paris pour faire moderne. Reprise par le groupe Accor, la salle poussiéreuse surtout fréquentée par les touristes, promise à une mort lente après 75 ans de bons et loyaux services, a été discrètement relookée. Mais exit les plumes et les paillettes, place au théâtre musical, genre rétro. En la matière, on peut faire confiance au nouveau maître de céans, Jean-Luc Choplin, ancien de Disney et grand connaisseur de Broadway, qui a remonté avec succès le Théâtre du Châtelet dans les années 2000 (reprise du Chanteur de Mexico) puis le Marigny (Peau d’Âne).

Entrer dans la salle du Lido2Paris, c’est donc entrer dans celle rouge et noir du Kit Kat Klub. Attablé à un guéridon, muni d’un verre pris au bar, on suit les péripéties du jeune romancier américain Clifford, client assidu du club, débarqué à Berlin en 1929, métropole trépidante où tous les excès sont permis. Explorant ses plaisirs et ses transgressions, il y restera jusqu’en 1933 où, horrifié par la montée des nazis, il décampe. Logé par une vieille fille pas bégueule, Fräulein Schneider, il y rencontre toute une faune de prostituées, trafiquants et autres danseuses, telle la volcanique Sally Bowles qui squatte sa chambrette. C’est la trame du livre autobiographique Goodbye to Berlin de Christopher Isherwood paru en 1939. Porté à la scène dès 1951, puis à Broadway en 1966, le livre donna lieu à de multiples adaptations au théâtre et à Broadway. Au cinéma aussi et surtout, avec deux films dont celui, inoubliable et multi-oscarisé, de Bob Fosse sorti en 1972 (il y a exactement cinquante ans !) avec l’indépassable Liza Minnelli.

Artistes très pros

S’il y a bien au Lido2 les boules à facettes sans lesquelles un cabaret ne serait pas un cabaret, il y aussi un grand savoir-faire dans la conduite du spectacle, avec des artistes très pros, doués de multiples talents, comédiens, chanteurs, danseurs, tous anglos-saxons. Et un orchestre d’une dizaine de musiciens répartis des deux côtés de la scène. Spécialiste de l’opéra, le metteur en scène, Robert Carsen, a mis au point une mise en abyme dont il a le secret, un spectacle dans le spectacle en VO sur-titré, assez réussi, enlevé, malgré quelques facilités, des faiblesses notamment dans la chorégraphie, des longueurs et baisses de régime dus aux dialogues parlés. La frivolité n’est en effet pas toujours de mise et les sujets épineux ne sont pas évités : les discriminations, la montée du nazisme, le nationalisme, l’avortement...

Également co-scénographe, Carsen a pallié le manque de cintres en utilisant à fond l’avant-scène, grand carré noir qui s’avance dans le public et dans lequel s’ouvre une trappe qui permet des changements à vue de décors rapides. Pas moins de dix-neuf tableaux différents se succèdent au cours de ce spectacle relativement long (deux heures trente coupées par un entracte) tandis que la troupe s’égaye dans les travées, prenant à partie la salle. Seule concession aux technologies modernes : des vidéos projetées à la fin de chacun des deux actes sur le fond de scène font frémir avec des images en noir et blanc glaçantes de foules en délire haranguées par les dictateurs de tous poils qui ont émaillé le XXe siècle, et des massacres et destructions qui s’en sont suivis. « Life is a cabaret », chante Sally, on pourrait ajouter « Life is a come-back ».

La grande trouvaille de cette production tient à l’impressionnant Sam Buttery, dont la figure intrigante accapare toute l’affiche, qui joue le maître de cérémonie du Kit Kat Klub, véritable bête de scène gender fluid qui mène son monde avec une maîtrise bluffante. Bel abattage aussi chez Lizzi Connolly qui campe une attachante Sally Bowles débordante d’énergie. Moins probant, Oliver Dench, son partenaire, manque un peu de présence et de coffre. L’autre couple de la soirée, mais impossible et poignant celui-là, est formé par Sally Ann Triplett (Fräulein Schneider) et Gary Milner (le boutiquier juif Herr Schultz qui la courtise). Mais toute la troupe n’est pas en reste, déployant une vitalité revigorante en ces temps de frimas.

Photo : Julien Benhamou

Cabaret, jusqu’au 3 février 2023, www.lido2paris.com Livret : Joe Masteroff, musique : John Kander, lyrics : Fred Ebb.
Avec Lizzy Connolly, Sam Buttery, Oliver Dench, Sally Ann Triplett, Gary Milner, Ciarán Owens, Charlie Martin, Carl Au, Rhys Batten, Hannah Yun Chamberlain, Anya Ferdinand, Elizabeth Fullalove, Fraser Fraser, Luke Johnson, Dominic Lamb, Darnell Mathew-James, Natasha May-Thomas, Nic Myers, Rishard-Kyro Nelson, Oliver Ramsdale, Clancy Ryan, Charlie Shae-Waddell, Kraig Thornber, Poppy Tierney.
Mise en scène, co-scénographie : Robert Carsen, co-création lumières : Luis F. Carvalho, costumes et co-sénographie : Luis F. Carvalho, chorégraphie Fabian Aloise, co-création lumières Giuseppe di Iorio, sound design Unisson Design, direction musicale : Bob Broad, video design : Will Duke, casting : Will Burton pour Grindrod and Burton.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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